Jeudi dernier, le quotidien « La Libre » et l’hebdomadaire « Le Vif » ont présenté le dernier livre du professeur (ULB) Hervé Hasquin: « Les catholiques belges et la franc-maçonnerie » (éd. Avant-Propos). L’auteur me fit l’honneur de me demander d’en rédiger la préface, à côté de l’excellent journaliste (RTBF – radio) et maçon Eddy Caekelberghs. L’article de La Libre souligna que ma préface appelait au dialogue. Le Vif mit en exergue que je signalais que des différences persistaient entre Catholicisme et Maçonnerie. Les deux affirmations sont exactes. J’ai tenté dans cette préface de donner – aussi honnêtement que possible et de façon non définitive – l’état de ma réflexion sur les relations entre catholiques et maçons. Pour ceux que le sujet intéresse, je reproduis ci-dessous – avec l’aimable permission de l’éditeur – le texte de ma préface:
PREFACE
A propos de l’auteur :
Ma première rencontre avec le Professeur Hasquin remonte à plusieurs années. Ce soir-là, nous prenions ensemble la parole dans un grand collège jésuite de Bruxelles. Ce qui m’impressionna d’emblée chez le Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, ne fut pas tant l’étendue de sa culture ou l’aisance de son élocution. Non, ce qui me frappa avant tout, c’est son mode de présence. Une chose transpire de sa personnalité : Hervé Hasquin n’aime pas la meute. Et il ne fait aucun effort pour le cacher. L’homme se déploie dans la vie avec autorité et liberté. J’en veux pour preuve supplémentaire, le fait que ce Recteur émérite de l’ULB – université fondée au XIXe siècle sur la lutte contre l’emprise ecclésiastique – demande à un ancien porte-parole de l’épiscopat de cosigner la présente préface. Ce choix m’honore. Une des raisons en est – sans doute – qu’avec Eddy Caekelberghs, je fus un des facilitateurs de la rencontre au sommet entre le Cardinal Danneels, alors archevêque de Malines-Bruxelles et Henri Bartholomeeusen, qui était le Grand-Maître du Grand-Orient de Belgique (GOB). Une première, semble-t-il. Mais, il y a plus. En me choisissant, Hervé Hasquin fait place dans son ouvrage au contre-chant. En grand seigneur, il n’a pas peur de la contradiction et trouve même que celle-ci pimente la vie. Les faibles craignent le débat à visière ouverte. C’est le propre de l’homme fort – car enraciné dans ses convictions – que de respecter ceux qui ne partagent pas son point de vue. Hervé Hasquin est de ceux-là.
A propos de la franc-maçonnerie :
Je ne pense pas faire un fracassant coming out en déclarant que je ne suis pas franc-maçon. C’est dès lors pour moi un exercice délicat de discourir de la franc-maçonnerie, d’autant plus que son histoire avec l’Eglise catholique est pour le moins conflictuelle – comme le démontre le présent ouvrage. Difficile d’échapper au reproche de parler à partir de préjugés. Ayant néanmoins été invité à quelques tenues blanches (séances maçonniques ouverte à un non-initié…), je me permettrai de donner ici mon appréciation avec bienveillance et franchise:
Côté positif : Lors d’un repas festif faisant suite à une tenue blanche, je me suis retrouvé à côté du Vénérable (responsable d’un atelier maçonnique) et en face de l’ancien Vénérable. Le premier était un poète anarchiste et le second officier supérieur. Je ne connais qu’un seul autre milieu capable d’ainsi brasser les origines et les options politiques… la paroisse. Plus généralement, j’ai rencontré nombres de maçons qui étaient des êtres dotés d’une authentique recherche philosophique, voire spirituelle. Alors oui, je préfère un authentique franc-maçon à un petit consommateur apathique et cynique.
Côté clin d’oeil : Depuis que j’ai assisté au décorum maçonnique, j’ai perdu tout complexe quant aux prétendus fastes de la liturgie catholique… De même, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas que dans notre Eglise que se vit une certaine séparation entre les sexes…. Enfin, s’il est vrai que les chrétiens ont connus de nombreuses querelles intestines, les francs-maçons les ont en cela largement imités…
Côté négatif : La franc-maçonnerie se veut une société discrète. Pourquoi pas ? Elle est également une société qui applique la préférence entre membres : « Dans des circonstances identiques, donne la préférence à un Frère pauvre, (…) avant toute autre Personne dans le besoin », stipulent les Constitutions d’Anderson. Je veux bien. Ce qui me dérange, c’est la discrétion plus la préférence. Imaginons un journaliste stagiaire dans un grand groupe audiovisuel où la rumeur veut (à tort ou à raison… qu’importe) que la direction compte une majorité de francs-maçons. La tentation sera grande pour ce jeune homme de chercher à devenir maçon à son tour, en pensant ainsi avoir de meilleures chances d’être embauché. Ici, je dis : attention. (Ce passage est un extrait de l’ouvrage coécrit avec mon ami, le professeur ULB Baudouin Decharneux : « Une cuillère d’eau bénite et un zeste de soufre », éditions EME, préfacé par le cardinal Danneels, ainsi que par… Hervé Hasquin).
A propos des relations entre franc-maçonnerie et catholicisme:
Hervé Hasquin le note dans la conclusion de son ouvrage : je suis de ceux qui pensent qu’il existe encore un contentieux entre catholicisme et franc-maçonnerie. Entre eux, la fracture ne me semblent pas qu’affective – mais également effective. Il est vrai que la maçonnerie ne véhicule aucune doctrine officielle, mais l’anthropologie commune aux loges me paraît davantage insister sur l’autonomie du sujet, là où la vision catholique souligne la personne en relation. D’où, entre autre, les différences d’appréciations concernant le début ou la fin de vie – ce qui se répercute dans les débats sur l’avortement ou l’euthanasie.
Il aurait pu en être autrement. Si l’histoire avait été différente, peut-être que la franc-maçonnerie serait aujourd’hui pour les adultes, ce que le scoutisme est à la jeunesse : une pédagogie de la croissance humaine, aussi compatible avec le libre-examen qu’avec le catholicisme. Mais – comme l’explique le présent ouvrage – l’histoire a pris un chemin qui a pollué les perceptions mutuelles. Soyons honnêtes : la frontière n’est pas à sens unique. Le discours officiel catholique rappelle l’actuelle incompatibilité entre catholicisme et appartenance maçonnique, mais l’inverse se vit également – même si c’est de façon moins explicite. En effet, si un catholique – papiste convaincu – frappe à la porte d’une loge du Grand-Orient ou autre obédience a-dogmatique, voire régulière… ses chances d’être reçu, seront plutôt minces. Il existe, bien sûr, des catholiques maçons – ou des maçons catholiques. Aujourd’hui, cela est d’ailleurs moins vécu sous le mode de la transgression, que comme un panachage philosophique. Dans son livre, Hervé Hasquin rappelle ce que je déclarai à ce sujet au quotidien bruxellois « le Soir » du 30 novembre 2005 : « Nous sommes tous des fils de ce qu’on appelle « l’ultra-modernité », où chacun veut bien appartenir à des réseaux mais pas nécessairement à des blocs ». Ceux-là se sentent-ils pleinement catholiques ? Se sentent-ils pleinement maçons ? D’aucuns me l’ont affirmé. Je n’ai pas à douter de la sincérité de leur témoignage, mais tel n’est pas mon choix.
Plutôt que de forcer une réconciliation, je me fais l’avocat du dialogue. La logique des tranchées est stérile. S’il est intellectuellement confortable de rejouer le scenario du XVIIIe siècle en ce début de XXIe – les cathos considérant les maçons comme des agents du diable et les maçons voyant en tout catho un suppôt de « l’infâme » – cela n’est pas sans danger pour la démocratie. Le socle commun sur lequel reposent les droits de l’homme est, en effet, plus friable qu’il n’y paraît. Et s’il existe un domaine où se rejoignent fils d’Hiram et fidèles de Rome, c’est bien celui de la confiance en la philosophie. Tant l’Eglise catholique que la Franc-maçonnerie font confiance au pouvoir de la raison humaine et sont, dès lors, des adeptes d’une vie politique qui fasse droit au débat entre opinions contradictoires. J’en suis persuadé : les frères ennemis sont aussi parfois des alliés naturels. Ainsi, face à toute confusion entre science et foi, comme c’est le cas avec le créationnisme.
Hervé Hasquin le sait au moins autant que moi : tout dialogue rencontre sa part d’embuche. J’en veux pour preuve les lettres et mails effarés que je reçus d’honnêtes catholiques. Et ceux-là étaient encore inoffensifs, comparés aux flèches décochées par d’autres sous le couvert d’un courageux anonymat. Dans l’autre camp, je pense à ces vieux maçons, qui – en vue d’une de mes visites – décrochèrent les portraits d’anciens vénérables morts depuis des lustres, de peur sans doute que j’aille exorciser leur tombe. Une autre fois, il me fut demandé d’arriver en loge les yeux bandés. La perspective du jeu de piste fit sourire le vieux scout que je suis, mais l’ami maçon qui m’invitait ce soir-là entra – lui – dans une « sainte » colère. Il fit savoir haut et clair que si on ne me recevait pas en ami, il annulait tout. C’est là que je compris que le dialogue entre maçons et cathos n’avait pas tant besoin de transgresseurs, que d’apôtres de la rencontre de l’autre dans son humanité. Telle est la clef qui ouvre la porte de l’amitié. La démarche d’Hervé Hasquin, m’invitant à préfacer ce livre, est de cet ordre. Un livre érudit et passionnant, que je t’invite – ami lecteur et quelque soit ta famille philosophique ou spirituelle – à désormais découvrir.