«Ne donnez à personne le nom de Père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux» (Matthieu 23, 1-12)
C’est toujours un peu bizarre de commenter en théologien un texte où Jésus s’en prend aux docteurs de la loi – les théologiens de l’époque. De prêcher ce dimanche sur un Evangile où sont critiqués ceux qui se mettent tout devant en longues tenues – alors que le prêtre se trouve justement tout devant en aube, étole et chasuble. De l’entendre rappeler qu’il ne faut appeler personne « Père », alors que les paroissiens m’appellent volontiers « mon père ». Suis-je donc en flagrante contradiction avec la parole du Seigneur ? Cela dépend de mon attitude… La parole du Christ ne s’adresse jamais à l’apparence, mais au cœur et à l’esprit. Il me semble bon qu’il y ait des théologiens pour commenter la Parole de Dieu, ainsi que des prêtres reconnaissables pour célébrer l’Eucharistie, sans oublier des personnes dont les chrétiens nomment la paternité spirituelle en les appelant « mon père ». Tout cela me semble conforme à l’œuvre de l’Esprit, sauf si…
Sauf si je tombe dans le piège de la fonction. Si le théologien oublie que la Parole qu’il commente n’est pas la sienne, mais celle du Père ; si le prêtre perd de vue qu’il ne célèbre pas en son nom mais au nom du Christ ; si le père spirituel se met à croire que c’est sa petite personne qui donne vie et non l’Esprit… Alors, le sacrement de l’ordre (le sacrement des personnes ordonnées : évêques, prêtres, diacres) n’est plus un signe de l’amour divin, mais il devient un mur qui fait écran entre le baptisé et le Christ. Voilà pourquoi le peuple chrétien doit prier pour ses ministres ordonnés : comme ils sont pécheurs comme tous les autres – et donc susceptibles d’orgueil spirituel – seule la force de l’Esprit peut les aider à échapper, en tout ou en partie, à ce piège qui étouffe l’œuvre de Dieu.
Ceci permet aussi à chaque chrétien de comprendre que, si toute chose en ce monde peut être bonne – avoir, pouvoir, valoir – rien ni personne ne peut se prétendre absolu. Rien, ni personne ne peut prendre la place du Seul qui donne la vie en Esprit : «Ne donnez à personne le nom de Père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux».
Ce n’est pas qu’au sein de l’Eglise Catholique que ce piège existe. Il existe dans d’autres églises et dans la société en général. L’homme peut aussi idolâtrer un chanteur, un auteur, un écrivain, un artiste, un patron, un chef d’équipe….(la liste est longue). Et je pense que c’est encore l’idolâtrie, l’usurpation de la place de Dieu, qui est visée.
Merci de mettre en lumière le sens de la Parole !
La personne de Jean le Baptiste me vient à l’esprit : quelqu’un qui montre/prépare la voie, mais cette voie ne conduit pas à lui-même. Dans l’attitude de coeur, un modèle à méditer.
Dans la liturgie extraordinaire, le visage du prêtre est tourné vers l’autel, comme le Christ est tourné vers son Père dans la prière. Il s’efface pour faire corps avec le peuple. Sa paternité est celle du bon Pasteur qui ne regarde pas ses brebis dans les yeux, mais les « mène vers des eaux tranquilles et les fait revivre ».
Il est vrai que, du point de vue du célébrant, le rite extraordinaire permet de mieux résister à la tentation de la ‘starification’. Cependant, bien célébré, le rite conciliaire aide à comprendre que c’est tout le peuple de Dieu qui loue son Seigneur. Il ne s’agit pas « d’avoir sa Messe », mais bien de vivre – ensemble – l’unique Eucharistie.