Le président des Scouts réagit sur le blog

Il y a quelques jours, j’ai reçu un coup de téléphone de Jérôme Walmag, président des Scouts. Il m’expliqua poliment, mais avec conviction, qu’il trouvait mon post « Scout toujours… » injuste envers le mouvement. Que si la fédération des Scouts voulait s’ouvrir à d’autres religions ou chemins de vie, elle n’en renonçait pas pour autant à veiller au développement spirituel de chaque jeune. Que les unités qui souhaitaient garder une animation explicitement catholique, étaient encouragées à ce faire. Je lui ai donc suggéré d’écrire cela sur mon blog, ce qu’il fit. J’invite chacun à aller lire son texte (« Scout toujours… », 6° commentaire).

Ma réaction :
1. Tout d’abord, j’apprécie la démarche de Jérôme Walmag, lui-même catholique. Un franc débat permet toujours de clarifier bien des enjeux.
2. Ensuite, je souriais en l’écoutant me dire que – plutôt que de me baser sur un élément (la « nouvelle » loi) – j’aurais intérêt à aller relire les textes de la fédération. Cela me faisait penser à certaines discussions que j’eus par le passé avec des journalistes, leur disant qu’ils feraient mieux de lire tout le texte du Vatican, plutôt que de baser leur article sur une phrase du pape. Ici, le « méchant journaliste » c’était moi. Mais j’ai tout de même rappelé à Jérôme Walmag que, tout comme les journalistes me répondaient alors qu’ils n’avaient pas le temps de lire les encycliques, de même tout le monde ne passe pas son temps à étudier les textes de la fédération scoute. Bref, c’est à elle de communiquer haut et fort quelles sont ses priorités.
3. Je me réjouis donc d’apprendre que les Scouts continuent à prendre au sérieux le développement spirituel du jeune. J’aurais préféré retrouver cela dans le texte de la loi, mais je reconnais bien volontiers que mes conclusions étaient hâtives et que d’autres éléments peuvent souligner cela. J’invite, dès lors, la fédération des Scouts à continuer de bien communiquer sur cet enjeu. Comme je l’ai écrit : C’est son droit de se vouloir pluraliste. Je préfère cela qu’une fédération qui se dit catholique, mais qui a honte de porter ce nom. Il est néanmoins capital de souligner l’enjeu du développement spirituel dans la pédagogie scoute, pour tout jeune quelques soient ses convictions. Au XXIe siècle, il s’agit là d’un élément éducatif plus vital que jamais. Il est également important de soutenir au sein de la fédération, ces unités qui se veulent fidèles à leurs racines catholiques. Que celles-ci ne sentent pas que cela est simplement toléré, mais bien franchement encouragé. Puisque le président des Scouts m’a affirmé qu’il en était bien ainsi, je ne puis qu’applaudir sa mise au point et invite chacun à en prendre connaissance et à la diffuser.

Nine-eleven

Je me souviens qu’au soir du onze septembre 2001, une sourde angoisse s’empara de moi. Comme tant d’autres, je sentais que le monde rassurant que le parapluie américain avait offert à l’Occident – parapluie qui avait même eu raison du mur de Berlin – venait de disparaître avec les tours. Nous entrions dans le XXIe siècle et celui-ci se bâtissait sur les sables mouvants des peurs identitaires. Il faudrait aux générations à venir bien du courage pour l’affronter – à l’instar de ces pompiers de New-York.
De plus, nous étions à l’époque de l’hyper-image. Les pauvres gars bloqués dans les tours en feu ignoraient tout de ce qui leur tombait dessus, que déjà les caméras du monde entier savaient… L’image était devenue réalité. C’est pourquoi les trois mille victimes du World Trade Center sont aujourd’hui encore, plus réelles pour nous que les huit cent mille morts du Rwanda ou que tous ces cadavres silencieux de la corne de l’Afrique.

Une décennie plus tard, me viennent encore à l’esprit les paroles du prophète Jérémie (14, 17-21) : « Les larmes coulent de mes yeux nuit et jour, Et elles ne s’arrêtent pas; Car la vierge, fille de mon peuple, a été frappée d’un grand coup, D’une plaie très douloureuse. Si je vais dans les champs, voici des hommes que le glaive a percés; Si j’entre dans la ville, voici des êtres que consume la faim; Le prophète même et le prêtre parcourent le pays, Sans savoir où ils vont. As-tu donc rejeté Juda, Et ton âme a-t-elle pris Sion en horreur? Pourquoi nous frappes-tu Sans qu’il y ait pour nous de guérison? Nous espérions la paix, et il n’arrive rien d’heureux, Un temps de guérison, et voici la terreur! Éternel, nous reconnaissons notre méchanceté, l’iniquité de nos pères; Car nous avons péché contre toi. A cause de ton nom, ne méprise pas, Ne déshonore pas le trône de ta gloire! N’oublie pas, ne romps pas ton alliance avec nous! »

David Servan-Schreiber nous écrit

Cet été, je me trouvais en vacances en Normandie. Par hasard, je passai par Veulettes le lendemain des funérailles du docteur David Servan-Schreiber. L’auteur à succès d’ « Anti-cancer » venait de succomber à la maladie qu’il avait si longtemps affrontée. Par ses écrits et conférences, il avait partagé avec des milliers de personnes son combat contre le cancer et les leçons qu’il en tirait.
Ce jour-là donc, je suis monté à la petite église du village de Veulettes. Devant la tour, je trouvai une sépulture fraichement fleurie. Sur la pierre tombale, quelqu’un avait posé un lampion et celui-ci brûlait toujours. Dans l’église, un vieux monsieur jouait de l’orgue. Pas d’autres âmes qui vivent. La dépouille de l’homme dont la photo recouvrait – la veille encore – tous les journaux du pays, semblait déjà vouée à la solitude des cimetières. Au-dessus de son nom, celui de son père Jean-Jacques – une des figures politiques et journalistiques de mon adolescence. Il ne me restait plus qu’à me recueillir et à prier.

L’ultime et récent livre de David Servan-Scheiber, « On peut se dire au revoir plusieurs fois » (Robert Laffont), recèle des passages d’une profondeur touchante. Ainsi, ces lignes que ce médecin – qui se sait désormais condamné – écrit sur la mort : « Si elle est comprise comme une coupure de toutes les relations, la mort devient pour moi une vision de cauchemar : en perdant la vie, je perdrais tout lien avec mon terreau nourricier , je me retrouverais condamné  à une solitude absolue… Certes, je n’ignore pas que les trépassés sont censés ne plus rien sentir. Mais l’idée du noir désert privé d’amour me glace. Au contraire, la perspective de rejoindre l’ensemble des âmes humaines et animales dans un univers baigné de lumière, de connexion et d’amour, à tout pour me ravir ». (p.131)
Je ne pense pas que l’homme fut profondément chrétien, mais il n’en exprimait pas moins ainsi – avec ses mots et son intuition – quelque chose de l’espérance chrétienne en la « communion des saints » – soit l’union spirituelle qui unit en Dieu tous ceux qui vivent de la plénitude de son Amour. Par-delà, il annonçait même une ébauche de la foi en un Dieu relation – autrement dit, en un Dieu trinité.

Plus loin encore, David Servan-Schreiber parlait de l’œuvre de l’Esprit dans sa vie, ainsi que de la douloureuse expérience du désert spirituel, rencontrée par tant de contemplatifs : « J’ai senti également une sorte de naissance spirituelle. Moi qui étais le scientifique type, rationaliste et athée, je me suis trouvé en quelque sorte « en état de grâce ». L’épreuve m’avait rapproché de Dieu, et c’était devenu tellement crucial pour moi que quand je faisais mes exercices de méditation, je me surprenais à essayer de parler à Dieu, de communiquer avec lui. Je lui demandais de me maintenir dans cet état de grâce extraordinaire de bonheur et d’ouverture. Je le remerciais de la grâce que m’avait apportée la maladie. Et je lui promettais que je me servirais de cette lumière pour aider les autres dans la mesure de mes moyens. Cette vie devenue incandescente, je l’ai perdue. Plus tard, des mystiques m’ont révélé que c’était un phénomène assez courant : on trouve « la grâce » et on la perd. Certains consacrent le reste de leur vie à tenter de la retrouver… Je suis heureux d’avoir connu pareille merveille, même brièvement. Quand je pense à la façon dont ma vie en a été transfigurée, je souhaite que tout le monde puisse un jour connaître cette expérience… »  (pp.136-137)

Sans vouloir pour la cause « canoniser » ou « récupérer » les écrits de David Servan-Schreiber, ces passages rejoignent en bonne part l’expérience chrétienne. J’en conclus que l’Esprit continue – quoi qu’on en dise et parfois bien mystérieusement – à creuser son sillon dans le cœur de nos contemporains. « Le vent souffle où il veut » (Jean 3,8)

Cathédrale de Liège – 4 septembre 2011, 23° dimanche dans l’Année A

Homélie prononcée en la cathédrale Saint-Paul-et-saint-Lambert de Liège, à l’occasion de ma réception au sein du chapitre:

« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d‘eux » (Mt 18, 15-20)

Je remercie Mgr l’Evêque pour la confiance qu’il me témoigne en me nommant chanoine du chapitre de Saint-Lambert en notre bonne ville de Liège. Je suis également reconnaissant envers Monsieur le doyen du chapitre et Messieurs les chanoines de m’accueillir en leur sein. Comme jeune prêtre, il m’arrivait – comme tant d’autres de mes confrères d’âge – de gentiment me moquer de la bienheureuse quiétude des « vénérables chanoines »… Me voilà bien attrapé. Désormais, ce seront de plus jeunes confrères qui pourront s’amuser de moi.

Et puis, je me rends compte que cette quiétude est toute relative. Que signifie qu’un prêtre soit attaché au service d’une cathédrale ? La cathédrale, c’est l’église où siège l’évêque et donc – à ce titre – c’est un peu l’église-mère de toutes les paroisses du diocèse. Là où préside l’Evêque, là tout être humain est accueilli comme un enfant de Dieu. Là aussi, chaque baptisé du diocèse est quelque part « chez lui ». C’est ainsi que je fus accueilli par mon évêque, il y a un peu plus de 20 ans dans cette cathédrale, pour y être ordonné prêtre. Mais comme l’évêque ne peut demeurer en permanence dans sa cathédrale, en son absence – c’est le chapitre des chanoines qui est le gardien de cette fonction d’accueil, afin de faire de cette maison de pierre un poumon spirituel au cœur de la cité. D’où la prière de l’Office tous les matins : car, derrière l’évêque ou les chanoines, Celui qui accueille en vérité, c’est le Christ – Lui qui a dit : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d‘eux ». Quand je me joindrai au chapitre pour prier l’office du matin  c’est donc le Christ qui se rendra présent au milieu de cette cathédrale…même quand moi, je ne serai peut-être pas toujours pleinement réveillé.

Ce rôle de la cathédrale a-t-il encore un sens dans une ville sécularisée comme Liège ?  Ecoutons la parole que Dieu adresse au prophète Ezéchiel et que nous avons reçue comme première lecture : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur ». En ce début de XXIe siècle, les formidables progrès de la société n’ont pas libéré nos contemporains du poids de leur conscience. Les mêmes questions angoissées qu’a l’époque d’Ezéchiel résonnent dans les cœurs : « Quel est le sens de l’existence ? Comment réussir sa vie ? Quel est le secret du bonheur ? » Pour accueillir ce questionnement, les baptisés se doivent d’être des « guetteurs », des femmes et hommes capables de saisir l’enjeu spirituel des choses, d’avertir des impasses, d’inviter à une « conversion » – c’est-à-dire à un retournement de perspective. « Si ton frère a commis un péché, va lui parler », enseigne l’Evangile de ce dimanche. C’est un des rôles tenus par les chanoines de cette cathédrale : être des guetteurs de l’évangile au milieu de la cité.

Mais attention à l’envers de la médaille. Sans l’Esprit, toute mission chrétienne se sclérose. Elle n’est plus qu’un cliché, une triste caricature. Sans l’Esprit, le « guetteur » devient vite une éternelle belle-mère, un insupportable donneur de leçons,…. Vous savez, ces braves personnes qui ont à la bouche en toute circonstance, une parole assassine du genre : « Je te l’avais bien dit… » D’où l’avertissement de saint Paul dans son épitre aux Romains, entendue lors de la deuxième lecture de ce dimanche : « Celui qui aime les autres a parfaitement accompli la Loi. (…) L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour ». Soyons donc des guetteurs de l’amour.

Apprendre à aimer – comme le Christ nous aime – vaste chantier ! Pour y parvenir, il s’agit de se mettre à l’école de l’Esprit. En ce temps de rentrée scolaire, voilà bien une école ouverte tous les jours et à tous les âges de la vie. Une école sans redoublement. Mais aussi une école où tous les baptisés restent élèves à vie. Et ceci, même – voire surtout – quand ils deviennent chanoines… Amen.

Bonne rentrée les parents

Lever les gosses, préparer les tartines, vérifier les cartables, les conduire à l’heure, leur trouver une bonne école, rencontrer l’instituteur, sécher une larme, venir les rechercher à l’heure, superviser les études, les écouter raconter leur journée, les envoyer au lit pas trop tard,…
Et le lendemain : lever les gosses, préparer les tartines, vérifier les cartables,…

Voilà une version de l’héroïsme au quotidien. Et – quand cela est vécu avec amour, voire dans la prière – de sainteté ordinaire.  Bonne rentrée les parents. Et courage.