Cet été, je me trouvais en vacances en Normandie. Par hasard, je passai par Veulettes le lendemain des funérailles du docteur David Servan-Schreiber. L’auteur à succès d’ « Anti-cancer » venait de succomber à la maladie qu’il avait si longtemps affrontée. Par ses écrits et conférences, il avait partagé avec des milliers de personnes son combat contre le cancer et les leçons qu’il en tirait.
Ce jour-là donc, je suis monté à la petite église du village de Veulettes. Devant la tour, je trouvai une sépulture fraichement fleurie. Sur la pierre tombale, quelqu’un avait posé un lampion et celui-ci brûlait toujours. Dans l’église, un vieux monsieur jouait de l’orgue. Pas d’autres âmes qui vivent. La dépouille de l’homme dont la photo recouvrait – la veille encore – tous les journaux du pays, semblait déjà vouée à la solitude des cimetières. Au-dessus de son nom, celui de son père Jean-Jacques – une des figures politiques et journalistiques de mon adolescence. Il ne me restait plus qu’à me recueillir et à prier.
L’ultime et récent livre de David Servan-Scheiber, « On peut se dire au revoir plusieurs fois » (Robert Laffont), recèle des passages d’une profondeur touchante. Ainsi, ces lignes que ce médecin – qui se sait désormais condamné – écrit sur la mort : « Si elle est comprise comme une coupure de toutes les relations, la mort devient pour moi une vision de cauchemar : en perdant la vie, je perdrais tout lien avec mon terreau nourricier , je me retrouverais condamné à une solitude absolue… Certes, je n’ignore pas que les trépassés sont censés ne plus rien sentir. Mais l’idée du noir désert privé d’amour me glace. Au contraire, la perspective de rejoindre l’ensemble des âmes humaines et animales dans un univers baigné de lumière, de connexion et d’amour, à tout pour me ravir ». (p.131)
Je ne pense pas que l’homme fut profondément chrétien, mais il n’en exprimait pas moins ainsi – avec ses mots et son intuition – quelque chose de l’espérance chrétienne en la « communion des saints » – soit l’union spirituelle qui unit en Dieu tous ceux qui vivent de la plénitude de son Amour. Par-delà, il annonçait même une ébauche de la foi en un Dieu relation – autrement dit, en un Dieu trinité.
Plus loin encore, David Servan-Schreiber parlait de l’œuvre de l’Esprit dans sa vie, ainsi que de la douloureuse expérience du désert spirituel, rencontrée par tant de contemplatifs : « J’ai senti également une sorte de naissance spirituelle. Moi qui étais le scientifique type, rationaliste et athée, je me suis trouvé en quelque sorte « en état de grâce ». L’épreuve m’avait rapproché de Dieu, et c’était devenu tellement crucial pour moi que quand je faisais mes exercices de méditation, je me surprenais à essayer de parler à Dieu, de communiquer avec lui. Je lui demandais de me maintenir dans cet état de grâce extraordinaire de bonheur et d’ouverture. Je le remerciais de la grâce que m’avait apportée la maladie. Et je lui promettais que je me servirais de cette lumière pour aider les autres dans la mesure de mes moyens. Cette vie devenue incandescente, je l’ai perdue. Plus tard, des mystiques m’ont révélé que c’était un phénomène assez courant : on trouve « la grâce » et on la perd. Certains consacrent le reste de leur vie à tenter de la retrouver… Je suis heureux d’avoir connu pareille merveille, même brièvement. Quand je pense à la façon dont ma vie en a été transfigurée, je souhaite que tout le monde puisse un jour connaître cette expérience… » (pp.136-137)
Sans vouloir pour la cause « canoniser » ou « récupérer » les écrits de David Servan-Schreiber, ces passages rejoignent en bonne part l’expérience chrétienne. J’en conclus que l’Esprit continue – quoi qu’on en dise et parfois bien mystérieusement – à creuser son sillon dans le cœur de nos contemporains. « Le vent souffle où il veut » (Jean 3,8)
« quoi qu’on en dise l’esprit continue dans le coeur de nos proches » ( tout à fait d’accord avec vous…sure sure…) ; )
Merci, Eric, pour ce très beau témoignage. Comme quoi, l’amour n’est pas l’apanage des chrétiens, loin de là et… tant mieux! Et avec la mort, certaine, cette « confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable » de David Servan-Schreiber décrit bien la situation absurde que nos religions veulent résoudre depuis la nuit des temps. Fallait-il pour autant dogmatiser, hiéarchiser, diviniser? C’est la question que je me pose souvent.
Monsieur l’abbé, je trouve réconfortant ce que vous avez écrit au sujet de ce médecin David Schreiber,. Tant de personnes que nous connaissons trouverons en ces paroles un réel réconfort pour affronter « le passage » ou nous attend notre Divin Sauveur. Merci !
La soif de vie éternelle est ontologique. La foi chrétienne a (par souci de pédagogie, mais souvent trop radicalement) organisé, conceptualisé, hiérarchisé cet appétit universel de Vie. Mais la réalité ultime n’appartient qu’à Celui qui est (« les publicains et les prostituées vous précéderont dans les royaume des cieux »).
Nos contemporains sont fatigués de n’entendre parler que d’engagements terrestres, forcément temporaires ; il faut leur reparler de la vie éternelle, de l’espérance, de « l’univers invisible » que mentionne le credo. Nous baignons dans l’univers invisible comme le poisson dans l’eau limpide.