J’étais heureux de lire la ministre CD&V Inge Vervotte dans les colonnes du Soir de ce WE (p.5) : « c’est un plaidoyer pour les nuances, contre la superficialité. Aujourd’hui, on nous demande de ne plus voir la complexité des choses. (…) Bien sûr, c’est plus facile de faire un Twitter avec cinq mots, où vous ne devez pas expliquer ce que vous voulez dire ».
Ce propos fait écho à ce que j’exprimais il y a quelques jours dans mon post : « Twitterpolitics et Banques Centrales ». Conjuguer clarté de vue et nuance du jugement, voilà un défi à opposer à ceux qui sombrent dans le simplisme. Commençant une enquête sur le néo-populisme, Olivier le Bussy (qui fut, dans une autre vie, Akéla de la meute dont j’étais l’aumônier) , conclut son édito dans la Libre du WE (p.64) par ces paroles : “Cessez de rire, charmante Elvire”, chantait Reggiani, évoquant “les loups qui envahissaient Paris”. Certes, les années 2010 ne sont pas les années 1930. L’ordre géopolitique et le paysage sociologique ont changé, des gardes-fous ont été dressés. Mais, aussi improbable que soit ce scénario, il faut, pour préserver les acquis d’une période de paix d’une longueur inédite, garder à l’esprit que le pire peut se produire. Et ces mots de Mitterrand : “Le nationalisme, c’est la guerre.” ».
Clarté de vue et sens de la nuance doivent diriger notre projet d’avenir comme inspirer notre regard sur le passé. Ce WE, des médias francophones s’indignaient de l’hommage rendu par certains flamands à la mémoire de Joris van Severen, tombé en 40 sous des balles françaises. Je n’ai guère de sympathie pour les idées nationalistes du personnage, mais je me retrouve davantage dans l’approche nuancée de Christian Laporte, qui écrit dans La Libre (ce lundi p.8): « Rien de tel, face à pareille controverse que de laisser la parole aux scientifiques plutôt que de tirer des conclusions définitives, sous le coup de l’émotion, qui pollueraient un débat qui doit rester strictement historique… ».
Prenons un autre exemple, pour illustrer mon propos : j’invite chacun à lire la « lettre aux Anglais » écrite en 1940 par Georges Bernanos, alors exilé au Brésil. Celui qui je considère comme un des plus grands écrivains chrétiens du XXe siècle s’y révèle d’une lucidité extrême. Bien avant d’autres – dont Mitterrand – ce catholique conservateur démasque l’imposture du régime bigot de Vichy. En même temps, au détour des lignes, on voit perler de-ci, de-là, les traces d’un pénible antijudaïsme. Le fait de reconnaître en Bernanos un grand écrivain et un visionnaire, n’empêche nullement de totalement se désolidariser de cet aspect de sa pensée du moment, tout en reconnaissant qu’elle était sans doute liée à une époque. Je le répète : la clarté d’un jugement n’empêche pas de prendre en compte la complexité humaine et donc, de s’exprimer en nuances.
C’est pourquoi, je salue à mon tour le cinéma des frères Dardenne. Dans un monde où la tentation de jugements-à-la-twitter nous guette, ils dépeignent l’humanité au plus proche de ses aspérités et contradictions. Voilà pourquoi, une profonde humanité se dégage de leur œuvre. Même quand la vie ou les choix transforment l’homme en moins-que-larve, celui-ci reste attiré par la lumière.
Malgré les éloges de la critique mondiale et les prix des successifs festivals de Cannes, pareil cinéma ne transformera pourtant jamais en milliardaires ces « frères anti-bling-bling ». Un film sur le peuple ne fait pas nécessairement un film populaire. Nous aimons trop le rêve pour aller voir un film qui fasse office de miroir, avec sa clarté et ses nuances. Je confesse d’ailleurs aller plus allègrement voir un James Bond plutôt qu’un film des frères Dardenne. Tout comme il est plus facile de passer 15 jours dans un club Méd., plutôt que de prendre le chemin de Compostelle. Reste à savoir ce qui, au bout du compte, marquera une vie. La beauté se trouve souvent du côté de l’exigence.
Bon, après cette absolution de Van Severen, parlez-nous maintenant du curé Ciriel Verschaeve à qui sont dédiées plusieurs rues de Flandre. D’autre part, il n’y a pas à laisser Van Severen, ce bon catholique conservateur qui se prenait pour Perceval, aux mains des autoproclammés « spécialistes » : n’importe quel adulte cultivé comprendra à la lecture de ses textes la doctrine pronazie du personnage Van Severen.
Pour l’anecdote, M. Laporte termine son article en demandant l’avis du centre d’études consacré à Van Severen et noyauté par le Vlaams Belang ! Faut le faire, comme on dit chez nous…
Merci de ce commentaire. Si vous avez pris la peine de me lire, vous noterez que je n’absous rien ni personne: pas plus Van Severen qu’un curé nationaliste. J’invite simplement à ne pas juger l’histoire sans laisser la parole aux historiens. Tous les historiens. Christian Laporte cite Bruno De Wever, par ailleurs souvent interviewé dans nos quotidiens francophones. Laissons la parole aussi à d’autres.
Désolé, mais votre texte est jésuitique, donc ambigu. Les textes de Van Severen ne le sont pas et vous devriez le savoir. La RTBF avait parfaitement raison de s’indigner de l’hommage officiel rendu par Bruges, la Province et le Ministre de la Justice (2010) à un type qui reproduisait dans son torchon « Hier Dinaso » des discours de Goebbels.
M. Laporte est « nuancé » par rapport à Van Severen parce que celui-ci, peu avant sa mort, faisait mine d’être un bon Belge proche de notre bon Léopold III. Saviez-vous que les deux officiers français, dont l’un a arrêté le massacre (effectivement, dans la débâcle, c’était malgré tout un massacre, mais combien de gens les sbires de Van Severen auraient-ils tués s’il avait survécu) ont été condamnés sous le régime vichyste et fusillés au Mont-Valérien.
Cher Monsieur, le fait que je sois prêtre ne vous autorise pas à uniquement me répondre en terme « d’absolution », « jésuitisme »… Un peu facile d’attaquer la forme et non le fond. Si vous avez lu mes autres posts, vous devriez savoir ce que je pense des idées d’extrême-droite. Ceci étant dit, ce n’est pas aider une population voisine à combattre les démons de son passé, en bombant le torse avec sa bonne conscience. Cela aussi, peut devenir une forme de populisme. Qu’on donne donc la parole aux historiens, surtout flamands, pour comprendre et débattre. Si un quotidien comme le Soir donne la parole à Bruno De Wever, je présume qu’il n’est pas d’extrême-droite… ou alors qu’on m’explique. Et puis, qu’on en interroge d’autres. Je n’ai rien voulu dire d’autres. C’était tout le but de mon propos sur « clarté et nuances ».
« La beauté se trouve souvent du côté de l’exigence. » ?
J’aurais préféré lire : « le bien se trouve souvent du côté de l’exigence ».
La beauté, elle, me semble gratuite, facile d’accès, immédiate ; elle s’impose naturellement à tout homme. La réflexion vient après coup : pourquoi suis-je touché ? comment cela fonctionne-t-il ? etc. La beauté est en lien direct avec Dieu. C’est la grâce nue.
Mon observation se situait dans le prolongement de la pensée de Hans-Urs von Balthasar: la beauté suprême étant l’Amour jusque sur la croix, nous la confondons souvent avec l’esthétisme facile. Mais votre réflexion est juste. Merci pour la remarque.
« Qu’on donne donc la parole aux historiens, surtout flamands. » « Surtout flamands », tout est dit.
Euh, la grâce nue, c’est Marie-Madeleine dans la grotte ? Celle du peintre Jules Lefebvre est manigfique… Je n’interviens plus sur ce sujet, les choses me semblant claires.
Fort claires en effet. Bonne soirée.