Le fait est assez rare pour être souligné : les édito’s du Soir et de La Libre (lire ci-dessous) traitaient ce matin du même sujet – les super-salaires de nos super-patrons. La question mérite réflexion, car elle touche de près aux trois grandes dimensions qui structurent la vie en société : l’avoir (dimension économique), le pouvoir (dimension politique) et le valoir (dimension morale).
L’avoir, tout d’abord… La première raison qui me fait penser que des super-salaires ne sont pas opportuns, est bassement économique. Il est normal qu’un patron – surtout compétent – soit mieux, voire bien mieux, payé que ses employés. Mais quand le salaire du « boss » n’a plus rien de commun avec celui de ses collaborateurs, alors un fossé psychologique se creuse et celui-ci est fatal pour – employons un terme bien marketing – le « team spirit ». Comment, en effet, sentir qu’on fait partie de la même entreprise, quand il y a d’une part les demi-dieux qui ne circulent qu’en hélicoptère et passent leurs vacances sur leur super-yacht et puis, de l’autre, la masse des gens normaux qui ont de bêtes petits soucis de gens normaux ? A l’armée, les troupes d’élites sont celles dont les officiers sont proches de leurs hommes. Dans l’Eglise, les diocèses les plus dynamiques ont à leur tête un évêque qui ne s’isole pas des fidèles, mais a un coeur de pasteur. Il en va de même dans le monde de l’entreprise. J’ai quelques grands patrons parmi mes amis et connaissances. Ceux que j’apprécie sont des hommes d’une grande simplicité et humanité, qui méritent la reconnaissance sociale. Mais je sais également que certains « derniers étages » des sièges sociaux de nos grandes entreprises reflètent la mégalomanie de leurs occupants et que ceci explique pour part les mauvais résultats financiers et, surtout, la mauvaise ambiance qui règne dans les murs. Je suis sûr que les mouvements sociaux dans une entreprise seraient diminués de moitié si, quand un plan d’austérité est annoncé, le patron montrait l’exemple en réduisant son salaire en proportion de l’effort demandé.
Le pouvoir, ensuite… La deuxième raison qui me fait penser que les super-salaires ne sont pas opportuns, est d’ordre politique. La démocratie se fonde sur une forme tacite de « contrat social ». Quand un nombre important de citoyens ne se reconnaît plus dans l’élite sociale qui la dirige, alors toutes les dérives sont possibles. En 1789, Versailles ne pesait que pour 4% dans le budget de la France… Mais le symbole de ce palais de rêve où une caste se réfugiait pendant que le peuple crevait de faim, fut un puissant moteur de colère populaire et donc de violence révolutionnaire. Tout autre est l’image d’une famille royale britannique et de leur premier-ministre qui, au cœur de l’enfer du blitz, vécurent les bombes et le rationnement au milieu de leur peuple. Le comportement de ces chefs, tout à la fois solidaires et courageux, explique pour une bonne part la force d’âme qui galvanisa la résistance anglo-saxonne dans un Londres en flammes. Les temps économiques qui s’annoncent sont sombres et n’ont plus rien à voir avec les trente glorieuses… Je vous le demande : De quel modèle nos capitaines d’industrie s’inspireront-ils pour piloter notre économie dans la tourmente ? Versailles-fin-18e ou Londres-sous-le-blitz ?
Le valoir, enfin… La dernière raison qui me fait penser que les super-salaires ne sont pas opportuns, est d’ordre « bêtement » morale. Celui dont le salaire mensuel passe de 1000 euro net à 2000 euro net, voit sa vie se transformer. Celui dont la rémunération mensuelle – boni oblige – passe de 100 000 euro à 200 000 euro ne sent aucune différence. Une société qui ne comprend pas qu’il y a là un souci… a des soucis à se faire. Une riche héritière déclarait récemment qu’il valait mieux une heure de honte par jour qu’une vie entière dans la pauvreté. Cela a le mérite de la franchise, mais oublie qu’entre la honte et la pauvreté, il existe une troisième voie : celle de la solidarité, voire – osons le gros mot – de la générosité.
Edito du Soir : Henry Ford, JP Morgan, réveillez-vous ! par PIERRE-HENRI THOMAS
Avec le printemps revient la floraison des rapports des sociétés cotées en Bourse. Ils contiennent le dernier état des rémunérations des grands patrons. Et évidemment, ces chiffres font débat. Au lendemain de la crise, alors que l’économie est encore largement sonnée et que les finances publiques sont dévastées, les rémunérations des top managers ne semblent pas être affectées. Et cela suscite un malaise certain : mardi, le commissaire européen Michel Barnier estimait ces bonus « inexplicables et injustifiables ». Et ce week-end, le nouveau directeur de la Banque nationale, Luc Coene, avait affirmé que tant qu’une banque est aidée par l’Etat, ses dirigeants ne devraient pas toucher de bonus. Ce qui choque n’est pas l’existence de ce qu’on appelle souvent à tort les « bonus », et qui sont en réalité la part variable du salaire, liée à la performance. Ce salaire variable que touchent les patrons, mais aussi les cadres moyens ou les commerciaux, n’a pas grand-chose à voir avec les bonus faramineux des traders. Ces derniers prennent un pourcentage des gains qu’ils réalisent sur des opérations risquées qu’ils effectuent avec l’argent des autres. Ces bonus-là s’apparentent, quand ils sont énormes, à une forme de prédation. Non, ce qui choque, c’est, tout simplement, la hauteur du salaire global (salaire fixe, variable, pension, stock-options…) que touche un club restreint de grands managers. Aux Etats-Unis et en Europe jusque dans les années 80, un chef d’entreprise, même à la tête d’une multinationale, ne gagnait pas plus de 20 à 40 fois le salaire de sa secrétaire. C’était d’ailleurs la norme que s’étaient fixée des figures emblématiques du capitalisme. Henry Ford et JP Morgan estimaient de 1 à 40 l’écart salarial maximal admissible. Et puis, le système a dérapé. Aujourd’hui, un grand patron belge ou français gagne en moyenne 2 à 3 millions d’euros par an, soit cent à cent cinquante fois plus que son employé le plus modeste. On a beau chercher, on ne voit pas ce qui pourrait justifier une telle disproportion. Et puisqu’en ces matières, l’autorégulation n’a pas l’air de fonctionner, il faudra bien, d’une manière ou d’une autre, qu’une loi vienne fixer des limites à l’avidité.
Edito La Libre : Indécent par YVES CAVALIER
Ne tournons pas autour
du pot : le versement
d’un bonus de
600 000 euros à Pierre Mariani,
le CEO de Dexia est
parfaitement indécent. Que
cela s’ajoute à une rémunération
fixe d’1 million d’euros et
à 200 000 euros de “prime de
fonction”, ne fait qu’ajouter
au sentiment d’iniquité. Des
voix se sont élevées ici et
ailleurs en Europe pour dénoncer
ces pratiques, en
particulier dans un secteur
qui a été sauvé de la noyade
par l’argent du contribuable.
Ce contribuable auquel on
demande par ailleurs d’envisager
de revoir le principe de
l’indexation automatique de
son salaire. Comment peuton
sereinement poursuivre un
débat sur l’impérieuse nécessité
de voir chacun participer
à l’effort d’assainissement du
pays lorsque les patrons de
certaines banques s’en mettent
plein les poches ? Certaines
en effet car toutes n’ont
pas eu cette témérité. On
pense à ING notamment, la
banque néerlandaise qui a
respecté les recommandations
du gouvernement local
en la matière. Le plus cocasse
dans cette affaire, c’est qu’à la
sortie du rapport annuel qui
publie ces chiffres, Dexia s’est
fendue d’un communiqué,
une sorte de justificatif.
Comme pour anticiper cette
indignation, la banque explique
que c’est 200 000 euros
de moins que l’année précédente,
que c’est inférieur à la
“médiane” du secteur, qu’ils
seront versés par tranches qui
pourraient être rabotées au
cas où les résultats ne suivraient
pas… Et dire que tout
cela est avalisé par le président
du conseil d’administration
qui n’est autre que JeanLuc
Dehaene, cet exPremier
ministre qui nous a donné des
leçons d’austérité…
Merci, cher Eric, de commenter aussi utilement l’actualité !