« Une nouvelle chasse l’autre », me suis-je dit ce matin en voyant la « une » d’un de nos quotidiens. Disparu en pages internes, le Japon. Remplacé par un scoop et une photo : un de nos responsables politiques a pris le thé à Westminster. Je comprends le choix du point de vue médiatique, mais cela ne le rend que plus intéressant à commenter. Bien sûr que la radioactivité c’est dangereux et que cela fait très peur. Mais la radioactivité est invisible et n’offre donc pas beaucoup d’images. Après quelques jours, le public se lasse et on passe à autre chose… Une nouvelle chasse l’autre, même si la radioactivité – elle – n’a pas disparu. Cela dit aussi quelque chose de notre monde. Les enjeux les plus importants nous échappent : qui d’entre nous comprend vraiment ce qui se passe à Fukushima ? Cela reste le domaine de quelques spécialistes. Voilà ce qui a permis la construction de centrales nucléaires près d’une faille sismique et ceci, en oubliant de prévoir le risque de tsunami. La complexité du chantier fut couvert par la garantie de nombreux experts, qui eux-mêmes faisaient une analyse sur base d’autres expertises, qui elles-mêmes… Aujourd’hui, tout le monde se dit : « comment avons-nous pu ? », mais les experts n’ont rien vu. Il en fut d’ailleurs de même pour la crise des « subprimes », ces outils financiers tellement complexes et virtuels que leur niveau de toxicité avait échappé à tous ces experts qui avaient certifié la solidité des créances sur base d’autres expertises qui… Les analyses des experts sont précieuses et mêmes indispensables, mais toutes les analyses du monde ne remplacent pas un regard synthétique qui embrasse du regard tous les aspects d’une question. Ce regard fait de plus en plus défaut, de par la technicité des dossiers : tout le monde s’en mêle, mais plus personne ne sait encore vraiment de quoi on parle. D’où la floraison d’explications plus ou moins magiques : derrière la crise de Wall Street ou de Fukushima se cacherait un grand complot, voire un calendrier maya. Dans ma famille, il y avait ainsi un cousin éloigné qui expliquait tout drame du monde ou de la famille par le « dessous des cartes »… la vraie vérité qu’on nous cachait ; le grand complot secret de quelques forces tellement puissantes que personne n’en avait jamais entendu parler. La réalité est plus prosaïque : l’humanité veut avancer toujours plus vite et faire plus fort, sans prendre le temps de s’asseoir pour réfléchir à ce qu’elle fait : « Quel est celui d’entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, s’il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui :Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever ! » (Luc 14, 28-29) Si le Seigneur revenait aujourd’hui, il changerait la parabole. Il parlerait d’un homme qui construit une tour sans prendre le temps de poser des fondations… La tour s’est effondrée et cela n’avait rien à voir avec le « dessous des cartes ».
j’aime votre réflexion
Cher Eric,
Est-ce un vengeance prométhéenne* ou juste une boutade? Personne n’est dupe, je crois: nos prouesses technologiques ont leur limites, et nous en sommes bien conscients. Les « spécialistes » avaient bien imaginé une déferlante de 10m, mais pas de 24… Le risque zéro, ce n’est pas de ce monde.
Cela étant dit, restons quand-même un tantinet admiratifs de ce que les hommes accomplissent solidairement. Car pour un individu isolé, même la fabrication d’une seule vis serait une gageure, me fit remarquer un de mes enfants…
* Prométhée qui descend du ciel comme un dieu pour s’incarner charnellement et sauver l’humanité, ça sonne familier, non?
Merci Bernard. Le risque zéro n’existe pas, mais la conséquence de nos actes sur l’écosystème pèse de plus en plus lourd. De cela, il s’agit de tenir compte dans les calculs de risques.
Quant à Prométhée, comme Mithra et autres personnages de la mythologie antique, il y a des points communs avec notre foi dans le Christ. Sauf la radicalité de l’incarnation et de la croix. Saint Paul le dit dans la première lettre aux Corinthiens (chap 1, 21-24): « Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a point connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse: nous, nous prêchons Christ crucifié; scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes ». Bien à toi!
Excellent!
« nous, nous prêchons Christ crucifié; scandale pour les Juifs et folie pour les païens »: la théologie chrétienne n’est décidément pas « évidente », aucun chrétien d’ailleurs, ne le prétend.