C’était en 1985. Le pape Jean-Paul II avait convoqué un synode extraordinaire, afin de faire le point 20 ans après la fin du concile Vatican II. Le cardinal Danneels en fut nommé « rapporteur ». Au cours des séances, deux cardinaux s’affrontèrent sur le bilan du Concile. L’un pensait que l’après-concile avait trop oublié la continuité avec le passé. L’autre affirmait, au contraire, que l’après-conclie n’avait pas été suffisamment audacieux pour honorer la volonté de rupture des pères conciliaires. La presse demanda à l’archevêque de Malines-Bruxelles, quel était son avis sur la question: « Le cardinal X voit le verre à moitié vide », répondit-il de sa voix placide, « le cardinal Y voit, lui, le verre à moitié plein. Moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a dans le verre ». Il n’avait rien dit. Mais il avait tout dit. Ainsi était le cardinal Danneels: un conciliateur.
J’ai appris à encore mieux le connaître entre 2002 et 2010, quand je fus le porte-parole francophone et in fine porte-parole national de la conférence épiscopale de Belgique. Il aura fallu un peu de temps à ce prélat timide pour m’apprivoiser, mais une fois que la confiance fut établie, son soutien fut sans faille. Combien de fois ne lui ai-je pas envoyé un SMS (notre mode de communication) en urgence tôt le matin ou tard le soir, car il fallait réagir tout de suite. En quelques phrases, je lui résumais la situation et ma proposition de réaction. Quelques minutes plus tard, apparaissait sur l’écran de mon téléphone Blackberry « OK Eric. Bon courage et merci ».
Quelques semaines après un couac de communication, je me trouvais avec mon confrère flamand de l’époque, face aux principaux rédacteurs-en-chef du royaume. L’un d’entre eux nous interrogea sur l’incident. Comme il se doit, mon confrère et moi assumions toute la responsabilité de l’affaire – histoire de protéger le patron. Mais le cardinal Danneels nous interrompit et insista pour prendre sa part dans le mea culpa. C’était imprudent, car il mettait sa position en danger. Mais cela dénotait sa grandeur d’âme. Il voulait être honnête et, aussi, soutenir ses collaborateurs. Ce genre de loyauté « inversée » – tellement différente de ces chefs qui rejettent toute faute sur un subordonné – m’a fortement impressionnée.
Il lui fut reproché une gestion des abus sexuels parfois timide. Jamais n’ai-je observé chez lui une volonté de cacher quoi que ce soit. Mais ce désir, si profondément ancré en lui, de concilier, fit en sorte qu’il se sentit par moment dépassé face à l’inconciliable.
Le cardinal Danneels savait écouter longuement – le doigt posé sur les lèvres comme s’il disait « chut » à son âme, afin de mieux accueillir ce qui lui était confié. Puis; il résumait en quelques mots les enjeux que son interlocuteur avait exposé et avec une image, esquissait une pistes de solution. A la conférence épiscopale, il parvenait toujours à trouver les points de convergences et dégager des décisions. Un grand conciliateur…
Je suis persuadé que Notre Seigneur fera bon usage de ses talents diplomatiques, comme intercesseur pour l’Eglise en Belgique. A-Dieu donc, Monsieur le Cardinal. Et merci.
Très bel hommage ! Je me souviens de mon côté de la célébration de confirmation (de ma fille) présidée par Mgr Danneels et de la simplicité bienveillante avec laquelle il a accueilli l' »enthousiasme » débordant des confirmands qui, tous, voulaient échanger avec lui le geste de paix . Un très beau souvenir ! Je me suis souvenue de ma propre confirmation et j’ai mesuré la différence énorme de style et de comportement. L’Eglise catholique a énormément progressé et le Concile y est pour beaucoup …
Je ne me sens évidemment pas du tout en droit de juger l’homme d’Eglise que fut le cardinal Danneels. Tout ce que le pécheur que je suis peut encore faire pour lui, n’est autre que de prier pour le salut éternel de son âme, en sachant que lui, comme moi, nous aurons à répondre devant Dieu de ce que nous avons fait avec ce que nous avons reçu. Par contre, je dois hélas constater que, celui que certains appelaient « le fossoyeur de l’Eglise belge » n’aura guère contribué à relever la foi catholique dans notre pays. Outre la descente vertigineuse de la pratique religieuse, un exemple parmi d’autres: 3 séminaristes. C’est cette très maigre récolte qu’il aura laissé à son successeur Mgr Léonard qui, lui, aura porté ce nombre à 55. Non la politique axée sur les compromis de cet ancien primat n’aura pas payé. A force de vouloir faire l’unité entre la vérité et l’erreur, entre ce qui est catholique et ce qui ne l’est pas, on finit par se fourvoyer dans un relativisme mortel pour la foi. Non, celui qui, dans sa biographie, s’est vanté d’avoir fait partie de la « mafia St Gall », c’est à dire de ce groupe secret de prélats qui avaient pour but de torpiller les actions de Jean-Paul II, d’empêcher l’élection de Benoît XVI et de propulser le pape actuel sur le siège de Pierre, n’aura pas été un exemple de transparence. C’est le moins qu’on puisse dire. Dès lors, si (comme tout le montre) le pape François prend en exemple la manière dont fut gérée l’Eglise de Belgique durant les très longues années où son cher Godefried fut archevêque, il y a selon moi, de sérieuses raisons de s’inquiéter quand à l’avenir de l’Eglise universelle. Cependant, encore une fois, qui serais-je pour juger le coeur d’un homme qui, comme moi, aura à répondre face au jugement de Dieu?…