L’économiste et sociologue des religions, Max Weber (1864-1920) est – entre autre – connu pour avoir fait la distinction entre « l’éthique de conviction » et « éthique de responsabilité ». La première régit le domaine des idéaux et inspire les religieux et idéalistes de tous bords : quelle est l’idéal que je poursuis ? La seconde régit le domaine de l’action et est suivie par les hommes qui exercent des responsabilités dans un domaine concret.
C’est un peu la distinction qui explique le fossé qui sépare Tony Blair et Jeremy Corbyn, le nouveau chef du « Labour » britannique. Dans une tribune publiée ce 29 août dernier dans le ‘Guardian’, l’ancien premier-ministre compare le programme de son actuel successeur à « Alice au pays des merveilles ». Faisant le lien avec la montée en popularité de Donald Trump, Alexis Tsipras et même Marine Le Pen, il écrit : ‘There is a politics of parallel reality going on, in which reason is an irritation, evidence a distraction, emotional impact is king and the only thing that counts is feeling good about it all’. (“Il y a la une politique de la pensée parallèle, où la raison irrite, l’évidence distrait, l’impact émotionnel est roi et où la seule chose qui importe est de se sentir bien avec tout cela »). Voilà pourquoi et – au nom de l’éthique de la responsabilité – Blair soutient la candidature de Liz Kendall, tout comme son dauphin malheureux, David Miliband, qui écrivait à peu près la même chose dans le ‘Guardian’ le 17 août.
Résultat des courses : Liz Kendall emporte quelque pauvres 4,5% des suffrages et Jeremy Corbyn est élu avec presque 60% des votes du Labour. Que s’est-il donc passé au royaume du pragmatisme ? D’où vient ce besoin de « tout autre chose », qui fait pousser des ailes aux programmes de ruptures ? Bref, qui fait primer l’éthique de conviction sur l’éthique de responsabilité ?
Beaucoup a déjà été écrit sur le sujet et je n’y reviendrai pas. Une chose, cependant : le fait que Blair, qui jadis fut perçu comme un jeune premier ministre de changement et d’espoir, soit désormais vu comme un homme du système, ayant oublié ses idéaux sociaux pour s’enrichir grâce à ses amis de la City. Que cela soit vrai ou faux, n’a guère d’importance en la matière (et je ne suis pas compétent pour trancher) : En politique, c’est l’impression qui compte. Et elle a massivement fait pencher la sympathie des électeurs labour pour un Jérémy Corbyn, connu pour son style de vie modeste, en adéquation avec ses idéaux. A l’heure des réseaux sociaux, le besoin d’authenticité est grand.
Ce que cela donnera en terme politique, reste à écrire au royaume de Sa Gracieuse Majesté. ‘Wait and see’, dit-on de l’autre côté de la Manche…
L’apparition de Jeremy Corbyn comme nouveau leader du Labour Party représente à la fois une surprise totale et un seïsme dans le paysage politique britannique.
L’explication de l’arrivée de Corbyn – après coup – est sans doute à chercher dans le système de vote utilisé pour l’élection: tout et n’importe qui pouvait voter, moyennant le paiement de trois livres et un « statement » comme quoi on était un protagoniste des valeurs « Labour ». On a parlé de fraude : le parti a gagné plusieurs centaines de milliers de nouveaux membres sans qu’il y ait eu un contrôle sérieux…
Nous voilà donc avec un leader Labour radical, élu par une « base » en euphorie, mais en rupture totale avec la plupart des MPs labour siégeant aux Communes…
Résultat plus que surprenant s’il en est après la défaite de Ed Milliband, jugé trop à gauche…
C’est bel et bien la fin du New Labour de Tony Blair, qui avait pourtant réussi à sortir Old Labour de ses ornières idéologiques pour en faire un parti prêt au pouvoir.
New Labour, c’était une version britannique de modèle allemand de la Sozialmarktwirtschaft. Malheureusement, les manoeuvrages de Tony Blair, plus soucieux de sa popularité au Congrès Américain qu’au Parlement à Londres, suivi de la crise financière a mis fin au projet. Nous voilà donc en plein chaos.
Une guerre civile au sein du Labour semble inévitable (même si après de pareilles surprises je n’ose plus parier sur rien, à part les chevaux).
Il est possible qu’à terme on voit ressurgir les Whigs du 18me et 19me siècle, sous un autre nom, ressemblant en fait ce qui reste du parti Libéral et l’ancien New Labour.
Mais je ne jurerai de rien…
Wait and see indeed!
@ EDB : pas sûr que, dans le régime majoritaire à un tour, tel celui des anglais, la percée de Corbyn n’écarte pour un certain temps le Labor (et les idées qu’il représente) du pouvoir politique, donc de la capacité de changement…le mythe « from England » se délite, comme tous le mythes : son élection (et Kees en a montré la « fragilité »du mode d’élection interne)…Au fond, ce courant qui traverse la vieille Europe, à travers Syriza, Podemos, PTB, Mélanchon , Lafontaine (RFA) n’est qu’une vague de surface : à l’heure d’Internet, de l’immédiat, de l’hyper réactivité : tout est dans tout et dans la minute on passe à autre chose, sans conséquence, ni souci de l' »après »…et la lame de fond (chacun la définira) continue son chemin destructeur…