Atteintes aux symboles religieux – au croisement de deux sagesses (La Libre 2 octobre p.20)

Ce mardi 2 octobre, une interview dans le quotidien « La Libre » a retenu mon attention.  “La Libre” a rencontré Sewif Abdel Hady, imam et orateur du Centre islamique et culturel de Belgique, qui est aussi le représentant en Belgique de la prestigieuse université/mosquée Al Azhar. Fondée au Xe siècle au Caire, Al Azhar est aujourd’hui l’institution sunnite la plus influente du monde musulman. Elle forme une bonne part des religieux du Moyen­-Orient.
Le commentaire de La Libre ajoute: « Al Azhar promeut un islam modéré et ouvert sur le monde. Les paroles de cet homme de 43 ans, qui est aussi directeur de l’Institut islamique européen de Bruxelles, sont empreintes de sagesse et de tolérance. Des principes consubstantiels à l’islam, rappelle­t­il« .

Deux sagesses
En lisant cette interview, je suis d’accord  que l’imam Sewif est un homme au propos sage et modéré. Il se situe à des années-lumières des furies Ultra-salafistes ou de la caricature d’islam qu’offre « Sharia4belgium ». Ceci rend l’analyse de son propos d’autant plus intéressante. La sagesse dont il témoigne fut sans doute celle d’un certain catholicisme pré-conciliaire, mais elle n’est plus celle de l’Occident ou de l’Eglise catholique d’aujourd’hui. Imaginons un seul instant Mgr Léonard déclarant lors d’une interview à « La Libre »: « Le catholicisme refuse toute sorte de critique contre sa foi et les autres religions. Dès qu’il y a une insulte à l’égard d’une religion, quelle qu’elle soit, il est normal de se mettre en colère ». Ce n’est pas du tout ce que pense l’archevêque, qui est un homme de débat. Mais, s’il l’avait fait, cela ferait un beau pétard. Les médias en feraient leur « une » pendant des semaines, s’indignant à qui mieux-mieux. Pourtant, c’est exactement ce qu’a dit l’imam, en parlant des musulmans.

Mon avis sur la question? La colère – « pacifique » comme l’entend l’imam – peut se comprendre. (Ici, je le rejoins sur le principe, même si je trouve cette colère contre-productive). Ainsi, si je sors un film idiot qui présente la franc-maçonnerie sous ses pires clichés, il ne faudra pas attendre longtemps avant que nombre de frères « trois-points » se dressent pour exprimer leur colère. Et je ne l’aurai pas volé. La colère pacifique en réaction à une critique – surtout bête et méchante – fait donc aussi partie de la liberté d’expression. Pourquoi seuls les caricaturistes auraient-ils le droit de s’exprimer, laissant aux religions tout juste la permission de courber l’échine?

Par contre, je ne puis suivre l’imam quand il déclare: « L’islam refuse toute sorte de critique contre sa foi et les autres religions ». Je ne suis pas d’accord et ceci, pour deux raisons: La première est que – même si elles font mal – certaines critiques peuvent s’avérer parfaitement justifiées. Qui suis-je pour affirmer que la façon de pratiquer le catholicisme (ou l’islam, ou le libre-examen) en Belgique en 2012 est au-delà de toute critique?  Ensuite, et plus fondamentalement, parce que la liberté d’expression ne peut tenir que si tout peut être critiqué sans exception. (Restant sauf la possibilité de saisir les tribunaux, si une critique est diffamante envers des personnes). Si on retire les religions du droit à la critique, pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Criminalisons aussi l’atteinte à l’honneur national, à la dignité d’un dirigeant, à… Bref, une exception ouvre la boîte de Pandore. Voilà pourquoi, je suis opposé au projet de résolution internationale en préparation à l’université d’Al Azhar, visant à criminaliser les atteintes aux symboles des principales religions dans le monde. Je cite l’imam: « Cela permettrait de punir ceux qui portent atteinte aux religions. Al Alzhar propose aussi une cour internationale de justice à même de poursuivre les responsables de tels actes qui menacent la paix mondiale. Al Azhar prépare un projet de loi, en concertation avec les institutions d’autres religions, à soumettre à l’Onu et à l’Union européenne« . Ici, on se trouve clairement au croisement de deux sagesses. Et le choix à faire n’est pas anodin.

Purifier la mémoire
L’imam Sewif Abdel Hady ajoute: « Les responsables de la communauté internationale doivent le soutenir (le projet de résolution internationale criminalisant les atteintes à la religion). Sans quoi il est impossible d’établir la paix et la sérénité internationales« . Ici encore, je ne suis pas d’accord: une religion forte ne craint pas la critique et ne met pas en danger la paix et la sérénité internationale, simplement parce qu’à l’autre bout du monde, une poignée d’imbéciles sortent des âneries.

Un avatar du fameux « choc de civilisations » séparant Occident et monde musulman? Je pense qu’il s’agit d’autre chose. L’imam déclare un peu plus loin: « Oui, il y a un sentiment d’humiliation collective (quand on insulte l’islam) ». Ca, ce n’est pas de la théologie. Cela met le doigt sur ce curieux mélange de fascination et de frustration avec lequel le monde arabo-musulman contemple depuis quatre siècles l’Occident et son insolente réussite politico-économique. Rappelons que le président des Etats-Unis au dixième siècle était… le calife de Bagdad. L’islam nous dépassait alors de la tête aux pieds. La nervosité actuelle des masses musulmanes face à toute critique s’explique, selon moi, avant tout par ce sentiment diffus d’humiliation prolongée. La moindre étincelle met le feu aux poudres.

Cela n’a pas grand-chose de théologique et n’est pas propre aux musulmans. Si, à l’occasion des fêtes de Wallonie, je brûle un drapeau wallon à Namur devant la foule, je serai peut-être verbalisé par un policier zélé ou raillé par la foule, mais la réaction majoritaire sera: « qu’est-ce qui lui prend, donc? »  Mais essayez de brûler un drapeau flamand le jour de la fête nationale flamande devant la foule… Ambiance assurée! Parce que les Flamands sont moins tolérants que les Wallons? Non, bien sûr. Mais parce que la mémoire collective flamande (ou catalane, corse, écossaise, galloise,…) est plus susceptible que celle de la Wallonie.  Ceci me donne de conclure que pour parvenir à la « paix et à la sérénité internationales », il ne faut pas des résolutions internationales criminalisant les atteintes à l’islam ou au flamand. Il y a un travail de purification de la mémoire collective à entreprendre. Et cela demande du temps, de la patience et de la délicatesse. Toutes sortes de valeurs que l’Occident pourrait apprendre de nos frères d’Orient.

 

5 réflexions sur « Atteintes aux symboles religieux – au croisement de deux sagesses (La Libre 2 octobre p.20) »

  1. Excellent, cher père,

    La société triangulaire.

    Chrétienté, humanisme athée, islam.

    Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »

    Le musulman: tout est à Dieu. le choc du totalitarisme théocratique.

    Le franc maçon laiciste : tout est à César. Le choc du totalitarisme laiciste ou communiste. Plus ou moins larvé d’ailleurs.

    Au musulman, comme au laic, le catholique prêche la distinction des pouvoirs et non la séparation ou l’absorption. La subtilité de Jésus se retrouve dans nos moeurs, contre la brutalité des doctrines totalitaires.

    Le catholique libéral trahira Jésus vers le laicisme en laissant blasphémer Jésus, son portrait plongé dans l’urine au nom de la liberté d’expression. Erreur libérale, les nations doivent un culte public au vrai Dieu et au minimum dans le cas de pluralisme le respect du premier commandement de Dieu. Le libéral est apostat.

    Le musulman est théocratique par essence car l’Islam confond les deux pouvoirs. Le franc maçon est athéocratique par essence puisqu’il nie ce qui revient à Dieu. Il confond la saine laicité et le laicisme.

    Vieille querelle qui durera. L’iman est de mauvaise foi car le Coran et la Sirah critiquent la foi chrétienne ou judaique. Mais il est dans sa logique de mentir aux mécréants de l’Islam et ce n’est pas une faute de son point de vue. Trahison du décalogue par l’Islam. Tu ne mentiras pas.

    Je concluerai par un vieil adage provocateur:

    L’adepte d’une fausse religion vaut mieux que son erreur. L’adepte de la vraie religion vaut moins que sa doctrine parfaite.

    Vatican II (Nostra Aetate) dit du bien des musulmans et ne parle pas de l’Islam. Diplomatie facile, texte médiocre imposé par les évêques orientaux comme contrepoids aux courbettes du même document vers le judaisme. Trop en dire dans une direction plombe les efforts dans une autre. Le conciliaire conciliant passe sous silence les erreurs par concordisme facile.

    Cordialement

  2. Duplicité de l’Iman

    Il veut interdire la critique de l’Islam et des autres religions. Chiche ! est-il prêt au révisionnisme des textes fondateurs de l’Islam. En clair une exégèse scientifique du Coran est-elle désormais autorisée aux islamologues comme le catholicisme le fait depuis les origines avec ses textes fondateurs?

    Interdire la critique des autres religions c’est interdire le Coran. Duplicité de l’iman.

    Pour s’en convaincre, il faut lire les textes sacrés, ou lire ce qu’en disent ceux qui les lisent assidûment, par exemple sur le forum de ummah.com d’où viennent les extraits ci-après :

    Sourate V, 51: O vous qui croyez ! Ne prenez pas pour amis les Juifs et les Chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, est des leurs. Dieu ne dirige pas le peuple injuste.

    Sourate II, 191 : Tuez les partout où vous les rencontrerez ; chassez-les d’où ils vous auront chassés. La sédition est pire que le meurtre. Ne les combattez pas auprès de la Mosquée sacrée, à moins qu’ils ne luttent contre vous en ce lieu-même. S’ils vous combattent, tuez-les : telle est la rétribution des incrédules.

    Sourate IX, 29: Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre (note de JPG : chrétiens et juifs), ne pratiquent pas la vraie Religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils payent directement le tribut après s’être humiliés.

    Sourate IV, 84 . Combats donc dans le sentier d’Allah, tu n’es responsable que de toi-même, et incite les croyants (au combat) Allah arrêtera certes la violence des mécréants. Allah est plus redoutable en force et plus sévère en punition.

    Sourate IV, 89. Ils aimeraient vous voir mécréants, comme ils ont mécru : alors vous seriez tous égaux ! Ne prenez donc pas d’alliés parmi eux, jusqu’à ce qu’ils émigrent dans le sentier d’Allah. Mais s’ils tournent le dos, saisissez-les alors, et tuez-les où que vous les trouviez ; et ne prenez parmi eux ni allié ni secoureur.

    Sourate IV, 95. Ne sont pas égaux ceux des croyants qui restent chez eux – sauf ceux qui ont quelques infirmités – et ceux qui luttent corps et biens dans le sentier d’Allah. Allah donne à ceux qui luttent corps et biens un grade d’excellence sur ceux qui restent chez eux. Et à chacun Allah a promis la meilleure récompense ; et Allah a mis les combattants au-dessus des non-combattants en leur accordant une rétribution immense ;

    Sourate VIII, 39. Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah. Puis, s’ils cessent (ils seront pardonnés car) Allah observe bien ceux qui oeuvrent.

    Sourate IX, 123. Ô vous qui croyez ! Combattez ceux des mécréants qui sont près de vous ; et qu’ils trouvent de la dureté en vous. Et sachez qu’Allah est avec les pieux.

    Sourate XXXVII, 4 Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage, et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.

    Sourate VIII, 17 Ce n’est pas vous qui les avez tués : mais c’est Allah qui les a tués. Et lorsque tu lançais (une poignée de terre), ce n’est pas toi qui lançais : mais c’est Allah qui lançait, et ce pour éprouver les croyants d’une belle épreuve de Sa part ! Allah est Audient et Omniscient.

    Etc, etc,…

    Je lis la même chose sur des textes approuvés par les chefs musulmans égyptiens.

    Cordialement

  3. Merci Eric pour votre texte particulièrement réfléchi. Je pense que la réponse au manque de respect de ce qui est le + sacré n’est pas la contrainte légale au niveau d’un pays ou de l’ONU mais la protestation argumentée de chacun/e de nous et l’effort de délicatesse que vous appelez en conclusion.
    Quand Olivier se lance, il me déstabilise. J’aimerais demander du respect pour Nostra Aetate, un des beaux textes de Vatican II à mon sens qui est, si je ne m’abuse, le premier texte officiel ouvrant, encore discrètement, au dialogue interreligieux. Bien sûr, rien de ce j’écris ici ne l’étonnera.
    Question importante, l’exégèse coranique s’ouvrira-t-elle à la réflexion critique?L’Eglise catholique a pris son temps pour le faire. Cela a laissé quelques personnes qui me sont très chères sur le carreau. Avec de la patience, les choses se sont améliorées. A titre d’exemple, St Pie X a finalement reconnu la vertu et la valeur des travaux du père Lagrange, ce qui a permis à celui-ci de reprendre son oeuvre. J’espère que l’Islam ira dans le même sens.

    1. Cher Eric,

      J’espère bien vous déstabiliser ou alors on va s’ennuyer.

      L’exégèse des évangiles a connu les bagarres que vous connaissez et vous pensez bien que j’ai choisi mon camp. Je n’avance pas masqué.

      L’exégèse scientifique du Coran est interdite dans les universités coraniques. Les islamologues non musulmans sont obligés bien souvent d’écrire sous pseudonymes comme les précurseurs, par exemple les jésuites arabisants de l’université de Beyrouth au siècle dernier. Dès qu’un islamologue est connu il est surveillé et interdit de séjour en terre d’Islam s’il n’est pas dans la légende pieuse.

      On voudrait trouver un tiers parti modernisateur, mais l’islam est sur la défensive. Si vous ne comprenez pas une sourate allez dans la Sirah (ou vie de Mahomet) pour la comprendre et si vous vous ne comprenez pas la Sirah allez dans le Coran. Ils raisonnent en boucle et ne sortent jamais de cet enfermement pieux. ils restent dans le sacré comme présupposé.

      La connaissance de l’arabie préislamique (et donc judéo-chrétienne) et de la gestation de la langue arabe héritière de l’hébreu a fait considérablement progressé les islamologues qui en savent plus désormais sur la genèse du Coran que le musulman pieux qui croit à un aérolithe tombé du Ciel. Terrible situation pour l’islam puisque les spécialistes comprennent souvent mieux les textes, souvent de l’ancien testament qui sont mal compris et modifiés par les fondateurs de l’islam.
      C’est un peu la réflexion cruelle de Joseph Fadelle converti de l’islam à ses interlocuteurs musulmans, « comprenez ce que vous lisez ».

      Pour vous taquiner, je lirai volontiers le texte de Noastra Aetate si j’étais convié par un rabbin et un Iman à m’exprimer de façon superficielle et diplomatique. Petits fours et obligation d’urbanité.

      Mais un spécialiste de l’islam ou du talmudisme (j’emploie le mot à dessein), sourira de ces bonnes manières un peu courtes, utiles mais sans profondeurs.

      Je suis cependant papiste mais critique sur les fumisteries du siècle dernier. Il est drôle de rencontrer un protestant plus papiste qu’un vieux catho. Amusant non?
      Déstabilisons.

      Le vrai débat est là.

      Cordialement

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