L’étude européenne sur les valeurs, dont parle Christian Laporte dans la Libre de vendredi dernier (pp.8-9) a de quoi nous intéresser. Les chiffres indiquent que nos compatriotes sont surtout attachés aux valeurs domestiques/professionnelles. Bref, ces valeurs qui concernent la vie privée : famille (98%), amis (92%), travail (90%), temps libre (88%). Par contre, ils ont nettement moins d’intérêt pour la religion (40%) et pour la politique (30%). Et quand on s’interroge sur les catégories professionnelles en lesquelles les Belges ont confiance, cela donne : pompiers 97%, Médecins 92%, enseignants 86%, policiers 76% (+ 5% en un an), facteurs (71%). Sont au plus bas : les politiciens 13% (- 7% en un an), publicitaires 20%, ministres du cultes 28% (- 9% en un an), commerciaux 33% et grands patrons 37% (+5% en un an). Ceci est conforté par l’attitude face aux institutions : la méfiance des Belges est grande vis-à-vis des partis politiques (79%), des banques (66%), de l’Eglise, (64%) et de la presse (60%).
La religion et la politique sont donc au plus bas dans les sondages. En lisant cela, je me dis que je dois être un prêtre maso pour publier un livre sur la politique : voilà donc que l’hôpital traite de la charité… :-)
Plus sérieusement, il est évident que le rejet de la politique s’explique pour une bonne part par la traditionnelle lassitude des citoyens face aux jeux particratiques, ainsi que par le blocage institutionnel du pays. Il ne faut pas non plus un grand sondage pour saisir que la sécularisation avancée de nos pays, ainsi que les anciennes affaires de pédophilie – récemment étalées dans les médias – ne sont pas sans conséquence sur la désaffection populaire envers le catholicisme. Tout ceci est une grosse pierre dans les jardins d’échevins et parlements, tout autant que de curés et conférences épiscopales. Il s’agit de se réveiller et de continuer à se poser les bonnes questions. Et pour les chrétiens, de le faire en priant pour que nous éclaire l’Esprit.
Cependant, ces chiffres sont également un miroir de l’opinion publique. La famille est plébiscitée à 98% dans une société… où domine le divorce. Les partis politiques n’ont pas la confiance de 79% d’une population… qui vote pour eux. Les publicitaires ne sont bien vus que de 20% d’une population… qui se laisse chaque jour davantage influencer par les codes publicitaires. La presse récolte 60% de méfiance… d’une audience qui déclare aimer « Arte », mais se régale de « Secret Story ». Les ministres du culte n’ont que 28% de sympathie, dans une société… où pullulent les charlatans et gourous en tous genres. Bref, l’opinion publique est bourrée de contradictions. Ce qui ne devrait pas nous surprendre, vu que l’opinion publique, c’est nous.
D’où mon plaidoyer pour une spiritualité citoyenne. Je vous invite à lire, une fois encore la chronique du jour de François De Smet. Il y tacle gentiment les mouvements de jeunes « indignés » qui fleurissent de par l’Europe. Personnellement, je prends le côté positif de ces vagues : des jeunes se ré-intéressent à la politique et crient qu’ils veulent un monde différent. Cependant, là où François De Smet voit juste, c’est que ce genre de grand « sitting » protestataire-festif ne change pas un monde. Il s’agit de se retrousser les manches et de s’engager. Donc, oui – vive la famille, le boulot et les temps libres. Mais tout cela est un peu court, jeune homme. Il est important d’éduquer les générations montantes à l’engagement citoyen. Au-delà de la vie privée, il y a une vie publique. L’homme complet est un homme au service de la Cité. Mais quelle Cité ? Celle dont le seul temple est la bourse et les stock-options ? Chacun sent bien confusément que la réponse est négative. Une démocratie digne de ce nom ne peut se maintenir que sur des valeurs. Des valeurs pas nécessairement religieuses – car la foi est une grâce, un don de l’Esprit – mais des valeurs néanmoins spirituelles. De quoi s’agit-il ? De cette intuition profonde qui permet aux croyants, agnostiques et athées de reconnaître que – dans sa vie privée comme dans sa vie publique – l’homme a besoin de pain pour vivre, mais qu’il « ne vit pas que de pain » (Matthieu 4,4).