Je salue l’initiative du quotidien « le Soir » qui donne ce jeudi la parole sur une pleine page (p.17) à 5 anciens directeurs et enseignants d’un grand collège bruxellois. Ceux-ci avaient été accusés de pédophilie et furent, depuis, totalement blanchis par la justice… Mais à quel prix. Je les cite : Ainsi, dans deux attendus remarquables, le jugement du 15 mai 2002 concluait : « Attendu qu’après sept ans d’enquêtes et de débats, après d’innombrables devoirs, l’audition de très nombreux témoins, l’intervention de deux juges d’instruction et de deux équipes d’enquêteurs, l’envoi d’une commission rogatoire à Paris, malgré toutes les perquisitions menées au collège et chez tous les prévenus, malgré les inlassables pressions exercées sur le juge d’instruction par les parties civiles (c’est nous qui soulignons), aucun des actes de pédophilie dénoncés au collège n’a pu être établi ». Quant au dommage considérable que nous avons subi, le tribunal note par ailleurs : « Qu’il ressort du dossier que ces événements considérables eurent de graves conséquences pour la santé, la vie professionnelle, sociale et privée de toutes les personnes concernées, pour leur honneur, pour leur entourage et leur famille ; que le fonctionnement harmonieux du collège et sa mission éducative furent gravement perturbés et sa réputation gravement compromise ; que le coût social et personnel est immense, y compris l’image des enseignants dans l’esprit fragile des enfants et celle de l’autorité des institutions ».
Ces 5 enseignants ont voulu comprendre ce qui leur avait valu ces accusations. Ils ont donc, à leur tour, porté plainte contre leurs accusateurs. Mais après plusieurs autres années, la chambre du conseil conclut ce 19 mai par un non-lieu. D’où la présente lettre ouverte : « Accusés depuis huit ans, cloués au pilori des médias, nous sortions de cette épreuve profondément meurtris, marqués de manière indélébile par la vaste campagne de dénonciation publique orchestrée par des parents en mal de vengeance. Qui était responsable de ce gigantesque fiasco médiatico-judiciaire ? Une enquête en cours depuis des années, dans laquelle des centaines de devoirs avaient été effectués par la police judiciaire, et qui débouchait… sur le néant ! (…) Cet « Outreau belge » révèle à nos yeux l’absence cruelle de toute forme quelconque de compensation pour tous ceux qui ont été littéralement traînés dans la boue avant d’être disculpés une fois pour toutes. Sous prétexte que nous n’avons jamais été détenus (c’est à peu près la seule avanie qu’on nous a épargnée), nous devrons continuer à vivre comme si rien ne s’était jamais passé. L’injustice de cette situation méritait à nos yeux que le plus large public en soit informé. Et que chacun médite à l’avenir sur son attitude lorsqu’il s’agit d’embrayer aveuglément sur les accusations portées sur qui que ce soit tant que la démonstration de sa culpabilité n’est pas faite ! »
Il y a selon moi trois volets à cette affaire :
Le premier est d’ordre moral – une morale tant individuelle que collective. Ces innocents, plus sévèrement punis que de nombreux coupables, nous rappellent que la rumeur et les ragots sont des juges aussi impitoyables que pitoyables. Les « on dit que… », « il paraît que… », « tout le monde pense que… » ; les « cela ne m’étonne pas… », « je me disais bien que… », « il n’y a pas de fumée sans feu »… ; les « je vous l’avais bien dit… », « une fois de plus… », « si je le croise, je l’écrase… » etc. etc. Chaque fois que nous participons à ce genre de chant macabre, c’est un peu de poison social que nous diffusons. Et ceci, avec d’autant plus de bonne conscience que nous le faisons en nous cachant derrière une créature sans visage. Elle se nomme l’opinion.
Le deuxième volet est judiciaire. Je sais bien que les tribunaux sont engorgés, mais que pareille affaire dépasse la décennie de procédure, semble assez terrifiant. De plus, je ne comprends pas qu’une compensation symbolique n’est pas prévue dans pareil cas. Les victimes d’Outreau ont été reçues par les plus hautes instances de la République. Dans le cas présent, une réception publique chez le Ministre de la justice, voire une audience médiatisée auprès d’un membre de la famille royale, n’aurait rien coûté à la collectivité, mais aurait aidé à cicatriser bien des meurtrissures.
Enfin, il y a le volet médiatique. Je sais bien que les trains qui arrivent à l’heure font moins vendre que le TGV qui déraille. Je comprends donc qu’une accusation de pédophilie lancée contre 5 enseignants d’un prestigieux collège – catholique de surcroît – est plus médiatique que leur réhabilitation. Dans la presse écrite l’accusation fera la « une », là où l’innocence sera traitée en page intérieure. Je serais donc assez favorable à une loi qui permette aux personnes innocentées d’exiger de chaque média, un temps de diffusion ou un espace de publication équivalent à celui qui servit à rendre publique leur mise en cause. Cela forcerait une plus grande sobriété – voire discrétion – dans le traitement médiatique des affaires judiciaires. Ce n’est pas le travail des chroniqueurs de justice qui est ici à blâmer, mais bien les intérêts mercantiles – dont nous sommes tous complices – qui font dériver l’information vers le sensationnalisme. Imaginons qu’un jour cette dépêche en « une », qui sans pudeur aucune ébranle une réputation à vie, concerne un parent, un conjoint, ou un enfant… Comment vivrions-nous cela ? Demandez-le donc aux familles de ces 5 enseignants.
Un excellent billet, empli de sagesse, comme d’habitude.
Mais je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il est advenu des sois-disant victimes, plus que probablement poussées par leurs parents à accuser à tort et donc à détruire la vie de personnes innocentes . Les impactes psycologiques doivent aussi être irréparables…
Entièrement d’accord avec ton analyse, Eric!
Ceci dit, n’y a-t-il pas délit de diffamation? Les atteintes portées à l’honneur sont déjà prévues dans notre Code pénal…
Les écueils de l’information foisonnent. Par analogie, je conseille de lire l’excellent article « L’information rend-elle con? » de LLB du jour à propos du décervelage et de l’intox…
Excellent. Merci pour cet article très juste. Je connais de très près des personnes qui ont été trainées dans la boue dans une affaire financière, initiée même pour « complicité d’assassinat », et dont l’accusation s’est dégonflée comme baudruche. En attendant, le mal était fait…et bien entendu il n’y a pas eu de rectification dans les médias.