Comme ils s’y étaient engagés, les évêques et responsables religieux ont donc pris position face aux conclusions de la Commission Lalieux. La plupart des acteurs de ce dossier et commentateurs de presse, ont accueilli leur réaction avec satisfaction et/ou avec le bénéfice de la bienveillance (ainsi les quotidiens La Libre et Le Soir).
D’autres voix ont cependant exprimé des humeurs moins positives. Je voudrais ici en épingler quelques-unes :
– « Le méfiant » : Il n’y croyait pas et n’y croit pas davantage aujourd’hui. Son point de vue est que tout ceci n’est qu’une manœuvre dilatoire de la part de la hiérarchie catholique. Si cette personne est une victime d’abus sexuels, je comprends pareille réaction. Chez certaines victimes, en effet, aucune réparation ne parvient à apaiser la souffrance et la colère. Le fait de diaboliser tout ce qui leur rappelle le viol de leur enfance, les aide alors à remonter quelque peu une pente à jamais glissante. Par contre, il y a aussi ceux qui ne sont nullement victimes, mais qui – pour des raisons politiques ou psychologiques – ne veulent pas d’une Eglise catholique qui recouvre quelque peu son statut d’instance morale dans la société belge. A ceux-là, je n’ai pas grand-chose à dire, car quoique fassent les évêques, ils continueront à dépeindre le catholicisme sous ses traits les plus noirs.
– « Le déçu » : Il regrette que l’Eglise ait pris sept semaines pour répondre aux recommandations de la Commission Lalieux et trouve que la hiérarchie catholique aurait dû dire plus ou faire mieux. Il ressemble à ces professeurs qui mettent invariablement aux élèves : « peut mieux faire ». Je lui fait remarquer qu’avec des moyens humains et financiers autrement plus importants, la banque « Dexia » a déjà eu besoin de trois années pour consolider ses comptes suite au crash de 2008. Et je ne parle même pas du temps qu’il faut à nos politiciens pour former un gouvernement fédéral… Bref, je rappelle à ces éternels déçus qu’il faut laisser du temps au temps, d’autant plus que l’Eglise manque de moyens et d’expérience pour affronter ce genre de dossiers complexes. D’où son incapacité à réagir en deux jours aux recommandations du Parlement. Un évêque me confiait récemment : « Je m’occupe énormément de ce dossier, souvent au détriment du diocèse dont j’ai la charge ». Je propose donc aux donneurs de leçons – s’ils sont catholiques – de plutôt proposer leurs services bénévoles aux évêques, afin de quelque peu les décharger. Je rappelle aussi ce que j’ai déjà exprimé à plusieurs reprises dans ce blog : si les perquisitions faites dans le cadre de l’opération « calice » n’avaient pas torpillé l’excellent travail de la Commission Adriaenssens, tout aurait été beaucoup plus vite.
– « Le terre-à-terre » : Je l’ai surtout rencontré ce matin dans la presse du nord du pays. Sa lecture des événements est pécuniaire : « l’Eglise va payer » . Et son unique questionnement est : « combien ? Où va-t-elle chercher l’argent ? » Evidemment, il n’a pas tort : derrière les belles paroles et les gestes symboliques, il y a la compensation financière destinée à quelque peu alléger la souffrance des victimes. Cependant, je trouve qu’il est indécent de ne voir ce dossier qu’en terme de cash. Le professeur Adriaenssens l’a assez répété : « la première chose qu’une victime souhaite, n’est pas de l’argent mais de la reconnaissance ». Que cette reconnaissance s’exprime dans un second temps en termes monétaires – pourquoi pas ? Mais la reconnaissance doit primer.
– « Le consterné » : C’est celui qui pense que « l’Eglise s’est faite avoir » par les politiciens. Il lance : « si son ancien directeur est reconnu coupable, verra-t-on le FMI ou les socialistes français se déclarer moralement responsable de ses agissements ? Alors pourquoi l’Eglise est-elle poussée à le faire ? » Juridiquement, il n’a pas tort, mais il n’est pas ici question de responsabilité juridique. Politiquement, il met le doigt sur un élément que – avec le recul du temps – seuls les historiens pourront analyser sereinement : dans ce dossier et outre la légitime défense des victimes d’abus, la société belge n’a-t-elle pas non plus inconsciemment voulu commettre un « meurtre symbolique du père » sur la religion qui avait tant façonné son passé et dont la génération au pouvoir s’était largement détachée ? Reste cependant la question morale. Et c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de « responsabilité morale ». L’abus sexuel sur mineur va tellement à l’encontre de l’ethos du christianisme, que le fait que ce phénomène ait existé parmi une minorité de clercs catholiques, est un fardeau que toute la communauté catholique se doit aujourd’hui de porter. J’illustre cela avec un exemple d’un tout autre ordre. Ce soir, à 22h40, la « Une » (RTBF-TV) présente « l’héritage infernal », un reportage réalisé par de Marie-Pierre Raimbault et Michael Grynszpan : « Il existe un certain nombre de descendants de nazis qui vivent, parfois anonymement, en Israël. Certains se sont convertis au judaïsme et en ont épousé les préceptes. Ils portent parfois la kippa, sont mariés avec des orthodoxes et leurs enfants fréquentent les yeshivas, les écoles religieuses ! Ces gens-là n’étaient pas nés au moment de la Shoah et pourtant, ils semblent porter en eux le poids de leur ascendance. Comme s’ils se sentaient coupables par hérédité. On appelle ça ici le « tikoun » la réparation, la repentance ». D’aucuns trouveront cela un transfert absurde de culpabilité. Ils se trompent. Il y a là une application très profonde d’un mot que nous avons trop chassé de notre vocabulaire théologique : l’expiation. L’expiation ne peut être prise dans un sens morbide et masochiste, qui consisterait à « se punir pour les fautes d’un autre ». Elle doit être utilisée dans son sens libérateur, qui implique de « se charger du poids des fautes commises par d’autres pour en réparer les effets ». Alors que le Christ était sans péché, c’est ce qu’Il fit en se chargeant librement du poids des péchés de l’humanité entière, afin d’y substituer Son Amour rédempteur. Est-il donc si surprenant que la communauté catholique – qui, comme le rappelait Mgr Léonard lors de la Pâques 2010, s’est jadis rendue complice de la coupable culture du silence de toute une société, face aux abus sexuels – fasse de même en se déclarant aujourd’hui moralement responsable des agissements de ses prêtres abuseurs ?
Je constate donc, au vu de ma réaction dans le post précédent, que je suis à classer dans les « consternés ».
Je n’aime pas trop cette comparaison avec les personnes victimes du « tikoun » et je suppose que l’inverse existe également: des fils ou fille de nazis qui constatent simplement qui n’y sont pour rien, reconnaissent sereinement les erreurs de leurs ascendants et qui vivent leur vie normalement.
C’est une réaction qui me paraît en l’occurence plus saine.
Merci de cette réaction. Je pense ne pas trahir votre pensée en disant que certaines réactions de la part de la hiérarchie ecclésiale, vous consternent. C’est votre plein droit, mais – permettez-moi cette franchise: il est un peu court de simplement dire « je n’aime pas » par rapport à ces descendants de nazis… C’est très post-moderne, mais le Christ « n’aimait pas », non plus, sa croix. La question est de savoir si cela a du sens; sans pour autant en faire une règle universelle.
Merci, cher Eric, pour ce lumineux commentaire; merci pour la définition de l’expiation, dont l’exemple donné par le Christ, notre rédempteur, ouvre le coeur et l’esprit. J’apprécie aussi ton hypothèse du meurtre du père, qui me paraît refléter l’état de notre société belge. Et espérons que les structures qui seront mises en place vont réellement aider les victimes à obtenir cette reconnaissance nécessaire.