C’est avec intérêt que j’ai lu la présentation par Joan Condijts dans les colonnes du Soir (p.27) du dernier livre de Bruno Colmant et Benoît d’Udekem. ( « 2011-2013 : Les prochaines conflagrations économiques » De Boeck & Larcier). J’apprécie chez le premier des deux auteurs, avec lequel j’ai coécrit un ouvrage de dialogue-débat, une grande intelligence alliée à belle honnêteté intellectuelle. C’est ce qui permet à ce banquier d’envisager des chemins d’avenir en rupture avec le discours dominant de rigueur budgétaire, pourtant prôné par la banque centrale européenne sous influence de l’Allemagne – moteur économique de l’Europe et bon élève en la matière : « L’endettement public devient d’une telle inégalité qu’il doit se passer quelque chose. Et le scénario le plus probable est qu’on passe par une période d’inflation. » Une inflation contrôlée et canalisée, s’entend, mais une inflation tout de même. Je n’ai pas compétence pour me prononcer sur la question. Favoriser l’inflation est intellectuellement dérangeant, car c’est un peu jouer la cigale contre la fourmi : celui qui s’est endetté s’enrichit par rapport à celui qui épargne. Cependant, dans un environnement où le mauvais exemple de surendettement vient de la première économie mondiale, c’est peut-être cela « jouer la carte de la mondialisation ».
Ce qui retient surtout mon attention, est la motivation donnée : « Les Etats doivent en effet régler l’ordre social, c’est-à-dire le bien-être des générations à venir, et parallèlement gérer la valeur de la monnaie. Nous pensons que les Etats devront privilégier le premier au détriment du second.» Ici est rappelé en quelques mots que « l’économie politique », c’est l’économie au service de la politique – le bien de la cité – et non inversement. Or la politique n’est pas une science exacte, mais un art pratique. Aristote enseignait qu’elle n’est pas d’abord guidée par la sagesse théorique (sofia), mais bien par le bon sens pratique (phronèsis). Ce bon sens se doit donc d’être le gardien de l’ordre social en usant de souplesse et de pragmatisme. C’est pareille souplesse qui pourrait inviter à léser l’épargnant d’aujourd’hui pour soulager le citoyen de demain, car c’est lui qui devra in fine apurer la dette publique colossale contractée par ses (grands-)parents.
Plus loin encore est esquissé le profil de l’homme public souhaité : « il faudra aussi que des hommes de caractère émergent. Ils devront prendre des risques à titre personnel. Car dans les crises et les moments de perdition, ceux dont les schémas de pensée sont répétitifs et obéissants sont écartés par l’Histoire ». Cela est tellement vrai. Notre monde en perpétuel changement a besoin de créateurs plus que répétiteurs. Churchill, qui donnait comme conseil aux jeunes gens : « étudiez l’histoire », était le premier à oser des chemins d’avenir qui rompent avec le passé.
Voilà donc une invitation à prendre des risques et à le faire – non par égoïsme – mais en vue de l’ordre social. Ce faisant, gardons tout de même à l’esprit que dans une vie « l’assurance tous-risques » n’existe pas. Celui qui prend des risques doit être prêt à en payer le prix. C’est ce que nous rappelle la population libyenne… Pour les chrétiens, c’est le sens même du Vendredi saint qui voit cloué sur une croix Celui qui avait pris tous les risques de l’Amour. Mais la croix n’est pas le dernier mot. Il y a le matin de Pâques. Parfois ceux qui prennent des risques en payent chèrement le prix. Mais si leur cause est portée par l’amour, une fécondité leur survivra. A défaut d’être sage, il est donc de « bon sens » de prendre le risque de l’Amour, car ce qui donne du prix à une vie n’est pas d’abord la quantité des années ou la qualité du confort. Il s’agit de l’intensité du souffle.
« Mais si leur cause est portée par l’amour »: tout le message chrétien… Redit clairement par St Paul( « j’aurai beau me faire brûlé vif, si je n’ai l’amour, cela ne me sert de rien)