Billet d’humeur dans Le Soir p.13 :
LE CARÊME EST « VINTAGE »… ET PAÏEN
par RICARDO GUTIÉRREZ
Il paraît que le carême est « tendance ». « Vintage »,même… C’est l’abbé Eric de Beukelaer qui l’affirme, dans La Dernière Heure de jeudi, chiffres à l’appui. A l’entendre, les adeptes du jeûne, pendant la période de 40 jours qui précède Pâques, seraient toujours plus nombreux. Une enquête menée aux Pays-Bas évalue à + 10 %la hausse annuelle de l’effectif des jeûneurs. L’abbé y voit l’essor d’une société multiculturelle avide « d’enrichir son patrimoine religieux ». L’ex-porte-parole des évêques se garde bien de rappeler les origines païennes du carême… Quoi de plus efficace, pour ramener le mécréant «égaré » au bercail que d’adopter ses pratiques ? L’Eglise de Rome n’a rien fait d’autre en « christianisant » les 40 jours d’abstinence que s’imposaient les adorateurs du dieu babylonien Thammuz, avant de célébrer la commémoration de sa résurrection. Entre le mercredi des cendres et Pâques, des millions de catholiques croient « imiter » le jeûne de 40 jours du Christ dans le désert… Bien peu savent que les apôtres n’ont jamais observé le carême et que l’Eglise de Rome n’a pas évoqué cette pratique avant le premier concile de Nicée, en 325 après Jésus-Christ. Chut ! Surtout, ne leur dites pas : ils sont persuadés que c’est « vintage». Et qu’il n’est sans doute pas inutile de s’imposer une période de privations. On ne sait jamais : les portes du paradis pourraient être plus étroites que prévu…
Réponse :
Le but du carême est bien plus large que de jeûner et n’a certainement pas pour but de forcer « les portes étroites du paradis ». Il s’agit de vivre un temps d’authenticité par une forme de jeûne, le partage et la prière. Personne n’a jamais prétendu que le carême remontait à Jésus. Comme tous les autres temps liturgiques, il a été instauré graduellement par les chrétiens au cours des premiers siècles. Je n’ai jamais entendu dire qu’il s’agissait d’un recyclage d’une fête babylonienne, mais soit… Noël est aussi une fête « recyclée » du « soleil invaincu ». Ainsi font toutes les grandes traditions spirituelles : elles reprennent d’anciennes coutumes pour les investir d’un sens nouveau. Ici, il s’agit de se préparer, quarante jours durant, à la victoire du Christ ressuscité sur le péché et sur la mort. Clin d’œil pour clin d’œil : A défaut de trouver le carême suffisamment « vintage », la bonne nouvelle est que l’humeur d’aucuns dans les colonnes du Soir est… au carême.
A la loi morale naturelle (ne pas tuer, ne pas voler, inceste interdit, etc.) correspond un ritualisme naturel (cérémonies cycliques, références aux cosmos, rythmes saisonniers…) dans lequel s’intègrent les fêtes chrétiennes. Rien de déshonorant, au contraire. En se faisant chair, le Verbe a assumé aussi nos rythmes psychologiques, nos cycles cosmiques, nos besoins réguliers de purification.
Merci Mr l’Abbé,
Pour votre réponse toujours calme et posée mais sans compromission. Manifestement ce Monsieur Gutierez ne connaît absolument pas notre religion catholique. Et pire, imagine que nous sommes de pauvres naïfs, ignorant des origines et sens du carême. « Il n’y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre »
Cher Eric,
L’évocation des portes du paradis n’était là que pour le clin d’œil. Sur le fond, je ne conteste pas l’authenticité de la démarche, mais la propension de l’Eglise catholique à « récupérer » une démarche introspective qui n’est pas nécessairement fondée sur une transcendance. Ainsi, je connais beaucoup de Belgo-marocains qui ne pratiquent pas l’islam, mais suivent néanmoins le Ramadan. Davantage pour des raisons culturelles et sociales que pour des motifs religieux.
Quant à la pratique du jeûne, prétendument « tendance » (selon l’enquête hollandaise, à peine 4% de la population pratique le jeûne du Carême), je ne suis pas persuadé qu’elle soit plus courante aujourd’hui qu’hier. Elle l’est sans doute encore chez les orthodoxes, nettement moins chez les catholiques et les protestants…
Peu convaincu par l’intérêt de l’interdit alimentaire, Luther réprouvait cette vision doloriste, n’hésitant pas à manger des saucisses, le vendredi saint. En voilà un qui se montre plus provocateur que « Le Soir »! ;)
Merci à toi Ric pour ta réaction sur mon blog. En ce qui me concerne, j’ai simplement répondu à une de tes consoeurs de la DH que les jeunes qui vivaient le carême, étaient plus décomplexés et que c’était donc devenu un peu plus tendance qu’à mon époque. J’ai ajouté que, en langage jeune, certains diraient que c’est »vintage ». Ceci a créé un petit buzz, dont je suis fort surpris, mais heureux. Cela fait des années que – comme porte-parole – j’espérais qu’on parle plus du carême. Et maintenant que je suis libéré de toute fonction, voilà qu’on en parle… un peu. Je ne cherche certainement pas à récupérer cela en disant que les foules de jeunes reviennent en masse dans les églises, mais – par les temps qui courent – une nouvelle »catho » qui fait un peu chaud au coeur, ce n’est pas de refus. RDV ce lundi 12h chez Fabienne Van dM (radio Première) pour la suite de nos échanges dans »le Forum de midi ».
A la mode, vintage ou autre, le jeûne fait parler de lui, c’est bien, surtout quand on lui donne une dimension spirituelle, nous reliant à Dieu et à nos frères et soeurs. Avez-vous lu l’article sur le jeûne intégral en paroisse organisé à Nantes (Il est vivant, mars 2011)? Fameuse expérience!
Les 40 jours passés au désert par le Christ « pour y être tenté » pourraient être considérés comme le premier carême. Jésus est notre « maître spirituel » par excellence et, même si l’Eglise n’a institutionnalisé le carême que plus tard, la tradition du jeûne et de la pénitence remonte à l’origine du christianisme et a été vécue dès les premiers temps de l’Eglise.