Pensée du soir – « Cours de rien », clap deuxième ?

J’ai déjà plusieurs fois écrit sur les changements qui ont cours dans les cours philosophiques, en expliquant qu’ils faisaient partie d’une stratégie en 3 phases consécutives : 1. Supprimer graduellement le cours de religion dans l’Officiel pour le remplacer par de la philosophie. 2. Imposer la même chose dans le réseau d’enseignement libre. 3. Plaider pour un réseau unique d’enseignement, vu que les programmes de tous les réseaux sont devenus identiques.

La première phase est en bonne voie de réalisation. En lisant « le Soir » en p.5 de ce jour (ci-dessous), la deuxième semble annoncée. C’est de bonne guerre, mais qu’on ne me resserve plus l’argument : « il fallait bien rassembler les élèves qui étaient divisés en différentes classes, selon leurs options philosophiques ». Dans le réseau libre, cet argument ne joue plus. Ici, il s’agit d’éliminer graduellement l’enseignement de la religion de l’enseignement catholique, en refusant que la philosophie et citoyenneté y soit donnée sur l’ensemble des cours (ce qui me paraît pourtant de simple bon sens). Le masque tombe.

(le Soir p.5) Citoyenneté : Milquet maintient. Seule l’école publique devra organiser un cours à part entière

A partir de cette année scolaire 2015-2016, les élèves de l’école publique pourront se faire dispenser du cours de religion/morale. On leur offrira un « encadrement pédagogique alternatif » (EPA ou « cours de rien »). Cet EPA sera éphémère. Il sera supprimé en septembre 2016 au primaire, en septembre 2017 au secondaire. Il sera alors remplacé par un cours de citoyenneté et de philosophie. Subtilité : ce sera un cours de 2 h/semaine pour l’élève qui a demandé à être dispensé de la religion/morale et de 1 h pour celui qui n’a pas demandé la dispense – pour lui, le cours de religion/morale passera donc à 1 h. Et l’école libre ? Elle devra enseigner des éléments de philosophie et citoyenneté mais elle ne sera pas obligée d’organiser un cours à part entière – elle pourra les enseigner dans sa grille-horaire actuelle, à travers les cours de religion, d’histoire, de français, etc. Arguments – et comme plaidé au Conseil d’Etat par Joëlle Milquet (CDH), la ministre de l’Education : « On ne peut créer un nouvel enseignement, quel qu’il soit, sans en supprimer un autre, en tout ou en partie. » Aussi, imposer au libre un cours de citoyenneté « pourrait amener l’enseignement libre à supprimer une partie de l’éducation religieuse qu’il entend, au nom de la liberté qui est la sienne, procurer à ses élèves ». Pour marquer la différence entre les réseaux, le gouvernement a choisi de ne pas imposer un référentiel commun aux réseaux (un référentiel fixe les objectifs d’un cours, les compétences à atteindre, les savoirs). Un référentiel s’imposera à l’école publique. Le libre devra se référer à un « cadre général. » Tels sont les choix opérés cet été par le gouvernement de la Communauté française, et qui ont été traduits dans un avant-projet de décret. Il a été remis au Conseil d’Etat. Et celui-ci a remisson avis la semaine passée. Il estime que le projet du gouvernement crée une différence de régime entre l’école publique et l’école libre, que les « différences objectives » entre les réseaux (différences de statuts, de caractère confessionnel ou non, etc.) ne suffisent pas à justifier. Les juristes observent donc que l’enfant de l’école publique se verra imposer un véritable cours (de 1 ou 2 heures, donc) avec un référentiel, un programme, des matières à étudier, des évaluations alors qu’il n’y aura pas de véritable cours dans le libre. Parmi d’autres, le Conseil d’Etat invoque la Convention relative aux droits de l’enfant, qui engage à enseigner la citoyenneté. Et les juristes estiment ici que « l’intérêt supérieur de l’enfant » conduit à refuser que les enfants qui « fréquentent les établissements libres soient privés des cours de philosophie et de citoyenneté qui, obligatoirement inscrits au programme dans les établissements de l’enseignement officiel, y feront l’objet d’une évaluation (…) ». Les juristes ajoutent que la différence de régime entre réseaux va « entraver les changements d’école puisque les élèves des établissements libres, dépourvus par hypothèse des compétences et savoirs validés qui sont liés au cours de philosophie et de citoyenneté – lacune tirant son origine dans l’absence d’organisation de ce cours dans ces établissements – auront des difficultés à atteindre ces compétences et savoirs pour la suite de leurs parcours scolaire qu’ils souhaiteraient accomplir dans des établissements officiels ». Milquet relativise l’avis du Conseil d’Etat. Pour elle, il s’agit juste d’une question de termes. Elle estime que le Conseil d’Etat tique parce que l’avant-projet parle de « référentiel » pour l’école publique et de « cadre général » pour le libre. La ministre propose donc – comme elle y avait songé initialement, dit-elle – de retenir l’appellation « référentiel » et de l’appliquer à tous les réseaux. Pour le reste, elle maintient le cap : l’école publique organisera un cours à part entière et l’école libre, certes soumise à un référentiel contraignant, reste libre et pourra enseigner les éléments de citoyenneté en les dispersant dans sa grille. Il n’est pas dit que le PS suivra Milquet. Certains, mardi soir, lisaient l’avis du Conseil d’Etat comme un appel clair à forcer l’école libre à insérer un véritable cours de citoyenneté dans sa grille, quitte à réduire le cours de religion d’une heure. Un argument, parmi d’autres : « L’essence même du cours de philosophie et de citoyenneté, c’est la neutralité. Et l’école libre pourrait enseigner cela dans son cours de religion ? Non, il faut un cours à part. » Si le PS confirme officiellement ce point de vue, il serait prudent de convoquer les casques bleus au prochain gouvernement de la Communauté.

 

7 réflexions sur « Pensée du soir – « Cours de rien », clap deuxième ? »

  1. Bonjour,
    Il serait intéressant de questionner les fondements philosophiques de la « citoyenneté ».
    Quand à cette prétendue neutralité, il ne faut pas avoir fait une thèse de philosophie pour comprendre qu’elle ne peut exister, l’individu étant de fit influencé par le système dans lequel il vit.
    De manière générale, la pensée s’écroule, plus personne n’est capable d’argumenter, les médias servent une pensée pré-mâchée comme une évidence (avec diabolisation de toute idée contraire) et les politiques ont entièrement délaissé la philosophie pour se positionner comme des gestionnaires.
    Anecdote : il est drôle de voir, dans l’école, comment les humanités (étude du grec & latin, études censées élever l’homme à son plus haut degré) sont remplacées par la technicité, ce qui permet certaines craintes sur la manière dont les élites de demain tiendront leurs fonctions.
    Bref, le bateau navigue sans cap, or comme le dit très bien Chateaubriand :
    « Vaines et tardives excuses aux fautes de l’orgueil,
    Qui prend le gouvernail doit connaître l’écueil ».
    De plus, cette idée incontestable de l’opposition entre raison et religion est insupportable ; reste à prier Dieu d’envoyer des renforts, qui pourront peut-être maintenir ce qu’il reste de civilisation dans de futurs monastères, comme l’Eglise l’a déjà fait lors de l’effondrement de l’empire romain.

    1. Bonjour Merlot,

      Je partage l’essentiel de votre commentaire, mais pas votre « pessimisme » qui antinomique de la foi chrétienne…Prions et croyons…mais laissons faire à Dieu ce qu’il veut. Les pires moments du Christianisme sont ceux où il apparut « vainqueur » (Fin de l’Empire Romain,colonisations,Inquisition,Dictatures modernes, etc).
      Je n’ai pas l’étoffe d’un héros et ma foi est commode aujourd’hui et ici…et le modèle monastique doit nous inspirer : ils sont le dernier conservatoire ou l’ADN chrétien se concentre et sert de vivier. Hélas,je n’ai pas l’étoffe d’un moine…mais nous pouvons agir là où nous sommes…

      1. Cher Monsieur Halleux,
        Merci pour votre commentaire.
        Croyez-moi, je garde l’Espérance en dépit de ce sombre tableau.
        A ce propos, il y a deux références qui permettent d’entretenir la flamme :
        – Frère François de Julien Green, qui est une biographie de saint François d’Assise, à une époque qui au final a pas mal de points communs avec la nôtre ,
        – Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu, de Charles Péguy.

        Toute autre chose, je crois qu’il serait bon de faire vivre et exister une pensée catholique dans la sphère publique ; pensée qui a brillé par le passé, tant en littérature qu’en philosophie, alors que la modernité ne perçoit le catholicisme que comme une bigoterie superstitieuse.

        1. @ Dorian :
          Vos deux références littéraires Péguy et Green m’ont accompagné dans mon adolescence…des auteurs authentiques et bien oubliés aujourd’hui.
          Quant à la modernité, elle est, ce qu’elle a toujours été : une mode en tant que système de pensée, une constance dans sa propre inconstance : elle passe. Par contre, nous devons faire effort pour incarner hic et nunc, en utilisant ses codes et ses moyens (comme le fait EDB), le message de Jésus…Bonne fin de journée

  2. Dans son « Génie du christianisme », Chateaubriand a aussi écrit:  » Tout était bon, Theutatès, Odin, Allah, pourvu qu’on n’eût pas Jésus-Christ « . C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce débat qui ne dit pas son nom

    1. Soit dit en passant, Chateaubriand était mal renseigné, car normalement on aurait dû dire « Teutatis ».

      C’est bien la preuve, que dès qu’on aborde la religion des autres, qu’on s’appelle Chateaubriand où Dupont, on répète souvent des barbarismes.
      En n’apparence, ils sont anodins, mais si ils peuvent finir par engendrer la défense de la barbarie au sens ignoble du terme, on le constate dans le paragraphe que vous citez qui est un plaidoyer en faveur du meurtre de l’autre, et non pour de la Croix pour soi.

  3. (…) le Libre (…) pourrait les enseigner dans sa grille-horaire actuelle, à travers les cours de religion, d’histoire, de français,  » ! De mon expérience, c’est déjà ce qu’elle fait … Quant à « rogner » sur le cours de religion proprement dit et prétendre que c’est une chose différente de la philosophie, c’est de la mauvaise … foi !
    Enfin, je ne sais pas s’il sera fait appel aux casques bleus mais en ce qui me concerne nous avons, comme parents du Libre, manifesté de nombreuses fois et nous pouvons le refaire … Reste que ce débat est inutile et improvisé et qu’il vaudrait bien mieux s’occuper de la qualité de notre enseignements en respectant le pacte scolaire !

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