Il y a un vérité humaine que les fils de Descartes ont trop souvent tendance à oublier : La plupart des choix qui constituent notre identité, ne reposent pas d’abord sur une décision froide et réfléchie, mais bien sur une approche affective du monde qui nous entoure. La raison intervient pour analyser, critiquer, débattre, voire justifier – mais seulement ensuite. Ainsi, en tout croyant religieux une petite voix murmure : « c’est beau, donc c’est vrai », alors que chez le non-croyant elle prévient : « ne te laisse pas embobiner. C’est trop beau pour être vrai ». (Pour le chrétien que je suis, j’ajouterai que l’Esprit souffle pour déployer nos affects dans le sens d’un accueil de Dieu, mais tel n’est pas mon propos du jour). Eh bien, ce qui est vrai en matière philosophique, vaut aussi en politique. C’est d’abord l’émotion – et non pas la raison – qui construit nos choix électoraux, tout comme l’identité d’une nation. Illustration concrète de cela ? Dans un « post » du 8 avril, intitulé ‘Monarchie et République : Tintin ou Largo Winch’ j’indiquais que, selon moi, les deux archétypes de régimes démocratiques étaient, d’une part la monarchie britannique et de l’autre, la république américaine. J’y puise donc mes exemples, tirés de l’actualité récente :
Allez revoir la vidéo du mariage royal, montrant toute l’abbaye de Westminster chantant à l’unisson l’hymne « Jerusalem » du poète William Blake (http://www.youtube.com/watch?v=4yIWBO_7nio). Une réelle force se dégage de ces images. Il y a d’abord la beauté du chant, porté par les voix cristallines du chœur. Et puis, cette assemblée qui embraye sans honte : la caméra glisse sur le couple des amoureux princiers, passe sur Elton John et son compagnon, s’arrête sur le premier ministre et son épouse, puis se pose avec respect sur celle qui, drapée de jaune, incarne la Nation. Tous chantent. Alors, l’image sort de l’abbaye de Westminster. Là où fleurissent les Union Jacks. Le peuple, lui aussi, chante. Et que proclame cet hymne ? Si seulement Jérusalem, la cité sainte, pouvait venir s’établir en nos pluvieuses contrées anglaises, balayées par le péché. Un texte à la fois patriotique et sans illusion. Pur exemple du ‘British understatement’. De cette scène se dégage une réelle émotion. Elle ancre sans complexe notre XXIe siècle dans la grande tradition de la nation britannique, c’est-à-dire dans sa mémoire réelle et symbolique, ses rêves d’avenir et l’image qu’elle a d’elle-même. Telle fut d’ailleurs la botte secrète du mariage de William et Kate : Alors que les commentateurs s’attendaient à un remake de l’union « conte de fée » entre Charles et Diana, la cérémonie fut calquée sur le mariage … de la Reine et du duc d’Edimbourg. Même église, même sobriété de la robe de la mariée, même uniforme porté par le prince et son grand-père, même volonté à ne pas en faire « too much » : assez pour être royal, mais pas trop pour paraître bling bling (rappelez-vous la traine kilométrique de Diana !). Bref, un mariage qui, à l’image de l’hymne « Jerusalem », propage une émotion qui renforce un certain way of life, subtil mélange de patriotisme et d’understatement.
Tournons nos regards vers la grande république d’Outre-Atlantique, où une autre scène très significative se joua dimanche soir – heure locale. La vidéo s’ouvre sur un long couloir et, tout devant, le drapeau américain (http://www.youtube.com/watch?v=m-N3dJvhgPg&feature=topvideos_news). Soudain, le président entre et marche vers le spectateur d’un pas assuré. Avec la voix grave du ‘commander in chief’ qui s’adresse solennellement à son peuple, il annonce que Ben Laden a été tué. Suit un hommage aux victimes de 9/11, ainsi qu’aux forces de renseignement et d’intervention. A la fin du discours, le président se fait lyrique : « Ce soir, il nous est rappelé une fois de plus, que l’Amérique peut affronter tous les défis qu’elle se fixe. Tel est le sens de notre histoire. (…) Souvenons-nous que nous pouvons faire ces choses, non pas seulement pour la richesse ou le pouvoir, mais bien à cause de qui nous sommes ». Ici, l’émotion s’ancre dans le rêve américain, que ce président-communicateur avait jadis su résumer dans son célèbre : « Yes, we can ».
Au patriotisme enraciné des britanniques répond l’audace naïve du continent nouveau. Mais des deux côtés de l’Atlantique, l’émotion se ponctue par une référence à ‘God’. Dans l’Abbaye résonnera le traditionnel ‘God save the Queen’ et le Président saluera par le, non-moins traditionnel, ‘God bless America’. Ne nous y trompons pas : la référence à ‘God’ n’annonce pas un retour larvé de la théocratie. Elle ne se réclame d’aucune révélation, mais reconnaît un au-delà de la nation. Quelques soit son prestige passé, son succès présent et ses rêves d’avenir, le peuple se sait mortel et inséré dans une communauté humaine plus vaste. Il est important pour lui de ne pas l’oublier. En effet, si une nation se dissout quand elle n’a plus d’émotions collectives à partager, son identité devient cancéreuse quand elle oublie que ses rêves ne peuvent devenir le cauchemar de l’humanité. Que ‘God’ nous en préserve.
Merci de rappeler qu’il y a un « au-delà de la nation » : la Jérusalem céleste, la patrie éternelle. Le chrétien a l’immense avantage de savoir d’où il vient et où il va. Ce qui le prémunit contre bien des illusions terrestres.
Merci pour tes pensées, Eric.
Le « Gott mit uns » du 3ème Reich et le « Nobiscum deus » des Romains sont pourtant de la même trempe. Je pense qu’il est temps que le patriotisme des anciens se métamorphose en un humanisme universel. Il faudra faire des concessions, mais cela ne devrait pas nous priver d’une conscience collective d’un au-délà bien terrestre… Non, ce n’est pas une illusion.