Eloge du casse-pied – 29° dimanche, Année C

 « Je ne respecte pas Dieu, et je me moque des hommes, mais cette femme commence à m’ennuyer : je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête ». (Luc 18, 1-8)

Le découragement, voilà bien la tentation la plus subtile, le plus cruelle et – sans doute – la plus efficace pour abattre l’homme. Quand l’humain commence à se dire « à quoi bon ? » et à baisser les bras – alors, le pire n’est jamais loin. Dégoût de soi, fatigue des autres et certitude que rien de beau ne puisse advenir. Les systèmes totalitaires l’ont bien compris : pour casser une population, ils lui arrachent l’espérance. Alors, la multitude devient une foule anonyme. Sans voix et sans visage.

Jésus secoue le cocotier en racontant avec humour cette parabole d’un juge sans foi ni loi. La veuve de l’histoire lui casse tellement les pieds, que le magistrat corrompu finit par lui faire justice. Et le Christ de conclure : « Combien plus, Dieu vous fera-t-Il justice ? Priez et ne vous résignez pas » Mais la tentation du découragement est puissante. D’où cette finale, en guise d’avertissement : « Mais le Fils de l’homme, quand Il viendra, trouvera-t-Il la foi sur la terre ? »     

Le donatisme nouveau

Ainsi, l’évêque Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X déclare que le pape François est un authentique moderniste et qu’avec lui « la situation de l’Eglise est un vrai désastre, et ce pape est en train de la rendre 10.000 fois pire ».« Si le pape actuel continue comme il a commencé, il va diviser l’Eglise. Il fait tout exploser. Les gens vont finir par dire: c’est impossible qu’il soit le pape, nous ne voulons pas de lui. […] Il provoque la colère. Bien des gens seront découragés parce que certains membres de l’Eglise seront tentés de la rejeter en bloc ».

J’y pensais en rentrant ce soir de la première soirée Nightfever au cœur de la ville de Liège. Organisée par le chemin neuf, l’emmanuel, les jésuites, salésiens, dominicains, paroisses… elle rassembla de nombreux jeunes. Au programme: témoignage et exhortation du nouvel évêque, louange, adoration eucharistique, confessions,… D’où ma question: « Mgr Fellay, où est le fléau qui fera exploser l’Eglise? » Vous me faites vraiment penser aux donatistes – ces rigoristes africains qui, au IVe siècle, refusaient de reconnaître la validité des sacrements délivrés par les évêques qui avaient failli lors de la persécution de Dioclétien. Ils se présentaient comme les seuls « vrais, purs et durs »… Ils ont fini nécrosés. J’en appelle à votre responsabilité d’évêque: « Qui est source de division? Où donc conduisez-vous votre troupeau? »

Je ne me réjouis pas de vous voir ainsi vous embourber dans le schisme. Me reviennent les paroles de saint Augustin face aux donatistes (sermon sur le Psaume 32): « Les donatistes qui disent : « Vous n’êtes pas nos frères » nous traitent donc de païens (remplacer « païens » par « modernistes »). C’est pourquoi ils veulent nous rebaptiser (dans ce cas-ci: nous imposer comme seule valide, la liturgie pré-Vatican II), car ils affirment que nous n’avons pas ce qu’ils nous donnent. De là découle leur erreur, de nier que nous ne soyons leurs frères. Mais pourquoi le Prophète nous a-t-il dit : Vous leur répondrez : « Vous êtes nos frères » sinon parce que nous reconnaissons en eux le baptême que nous ne réitérons pas. Eux donc, en ne reconnaissant pas notre baptême, nient que nous soyons leurs frères ; nous, en ne réitérant pas sur eux, mais en reconnaissant le nôtre, nous leur disons : « Vous êtes nos frères ! »

24H Chrono – Et si…?

Le blockbuster à suspense hollywoodien est basé sur un scenario à flux tendu. Celui-ci retient le spectateur en haleine, mais avec en arrière-fond cette rassurante assurance: « A la fin, le bien triomphera ». Un peu comme ces enfants qui jouent à se faire peur, bien conscients que leurs parents sont dans la pièce voisine. Parfois, cependant, un film se termine sur une note plus inquiétante. Façon de réveiller les consciences qui quittent les salles de cinéma. De les préparer à des lendemains qui ne chantent pas: « Et si…? »   

Le 17 octobre est gravé dans ma mémoire comme le jour anniversaire de ma filleule. Et si, cette date devenait dans l’histoire humaine synonyme d’un cataclysme financier, par rapport auquel le crash de Lehman-Brothers serait relégué au statut d’amuse-gueule? Tout le monde se répète – moi le premier – que cela n’arrivera pas. Qu’aux Etats-Unis, démocrates et républicains du Sénat seraient proches d’un accord sur un relèvement du plafond de la dette et sur le budget fédéral et qu’il sera annoncé aujourd’hui même. Sans doute et heureusement.

Pourtant – comme dans les films hollywoodiens – une petite voix inquiétante résonne: « Et si…? »  Certains divorces nous le rappellent tous les jours: dans un bras-de-fer, ce n’est pas toujours la raison qui l’emporte. Un blocage suicidaire du budget américain n’est donc pas de la pure fiction. Notre économie étant dollarisée, et l’argent étant le système sanguin du corps économique, ceci équivaudrait à une crise cardiaque. La dette publique astronomique de la première puissance mondiale étant, paradoxalement, aussi le moteur de la croissance – nous assisterions à une glaciation profonde de toute relance. Ce serait sans doute le début de la fin de l’hégémonie économique du dollar. Remplacé à terme par le Yuan? Ou – mieux – par un étalon international? Mais après quelles turbulences? Le monde s’en remettrait, bien sûr – mais au prix de ce que les analystes appellent pudiquement « une correction des marchés ». En clair, des souffrances bien plus grandes encore pour les populations. Sur fond d’instabilités politiques et sociales que personne ne peut évaluer.

Le pire n’arrivera sans doute pas. L’Oncle Sam est un grand frère responsable. Ouf… Mais ne vivons pas comme s’il était impossible. Au Japon, un typhon s’est approché dangereusement de Fukushima. Là où, il y a quelques années, des spécialistes du nucléaire nous disaient que rien de grave ne pourrait jamais arriver.

Le coach et le père

Le coach national des diables rouges est, sans aucun doute, l’homme le plus populaire du moment en Belgique. Marc Wilmots a amplement mérité cet honneur. Si l’ancien joueur ne fut pas – de son propre aveu – un sénateur d’exception, il est devenu un des principaux artisans du redressement et de l’actuel état de grâce de notre équipe nationale de football. Je ne connais pas suffisamment ce sport pour commenter son travail de coach, mais je salue le style Wilmots. L’homme dégage la simplicité, le réalisme et l’exigence. Avec lui, on est loin de ces entraineurs qui ne fonctionnent qu’à la rémunération et aux effets d’annonces. Wilmots ne traite pas ses joueurs comme des stars. Il leur insuffle la modestie et la rigueur. Il respecte les particularités culturelles des joueurs flamands et wallons – serrant la main des premiers et embrassant les seconds – mais ne fait pas du football une affaire communautaire. Et puis – le soir de la victoire contre la Croatie, il ramène aux vraies valeurs. Quand un journaliste lui demande à qui il pense en cette soirée de triomphe, Wilmots répond sans hésiter: « A mon épouse et à mes enfants ». Chapeau coach et merci!

A l’esprit Wilmots, je voudrais associer celui d’un autre père de famille: André Dusausoy, père de Thomas – un étudiant en 3° année d’étude à l’UCL qui s’est tué en chutant d’un pont, vendredi dernier, après une soirée bien arrosée. Au lieu de cracher son chagrin et sa révolte à la face du monde, le père endeuillé réagit en écrivant une lettre ouverte à tous les étudiants qui font la fête: « On est euphorique, on croit qu’on est invincible, et les 15 jeunes qui sont venus hier au chevet de mon fils ont compris que l’excès d’alcool pouvait mener à la mort d’un de leurs copains. Mais il n’y en a que 15 qui ont compris hier après-midi. A Louvain-la-Neuve il y aura 100.000 jeunes et il ne faut pas qu’il y ait d’autres morts ». Ce père digne va donc se rendre au 24h de Louvain-la-Neuve pour parler aux étudiants: « Je leur parlerai, je leur dirai d’arrêter de boire, si j’en vois qui sont plein, je leur dirai d’arrêter, je sais pas ce que je ferai, mais je vais passer les 24 heures là-bas. Avec mon épouse on ira là-bas, et avec mes enfants aussi, on ira pour Thomas, on ira pour le souvenir de Thomas, on ira faire ça, pour éviter que d’autres parents vivent ce drame et que d’autres jeunes ne disparaissent bêtement alors qu’ils sont à leur force de l’âge et qu’ils ont tout pour réussir », explique-t-il, la voix remplie d’émotion. Respect.

A tous ceux qui prétendent que nous vivons une époque égoïste dans un pays glauque, voici deux exemples qui offrent un réel motif de fierté.  

Dieu en dehors des sentiers battus – 28° dimanche, Année C

 « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ». (Luc 17, 11-19)

Dix lépreux croisent Jésus et s’arrêtent à distance. En effet, la loi juive interdisait à un « impur » de s’approcher d’un homme sain. Jésus s’adapte à leur comportement et répond donc à leur demande en suivant – à son tour – les préceptes de la loi : « Allez vous montrer aux prêtres ». En Israël, seuls ceux-ci avaient autorité pour déclarer qu’un lépreux était guéri et qu’il pouvait, en conséquence, reprendre sa place dans la société. Les dix hommes obéissent. En cours de route, ils réalisent qu’ils sont guéris. Un seul rebrousse chemin. Au lieu d’obéir à la lettre en allant d’abord voir les prêtres, il écoute l’Esprit. Cette fois, oubliant l’obligation légale de garder ses distances, il se jette aux pieds du Christ en louant Dieu. Jésus reconnaît la foi de cet homme. Ce Samaritain a perçu – mieux que les autres – que Dieu agit à travers le Nazaréen. Que parfois, la Grâce divine ne suit pas les sentiers battus par la loi des hommes : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ».     

Allo Mr. Bond ? … – Marianne Belgique p.21

Ci-dessous ma chronique parue dans l’hebdo Marianne-B de cette semaine:

Allo Mr. Bond… ? Ne soyez pas surpris. J’ai composé un numéro de téléphone au hasard, me disant que – si c’est vraiment le MI 6 qui espionne Belgacom – c’est donc vous qui m’écoutiez. Entre nous, pas joli-joli d’épier ses amis… Mais comment ignorer que les services secrets sont une des faces cachées des relations internationales ? Se souvient-on qu’en ’40, le grand Churchill envoya ses espions à Washington, pour accélérer l’entrée en guerre de l’Oncle Sam ? Bref, rien de bien neuf sous le soleil. Appelons cela un « dérapage contrôlé » – du moins, tant que le MI 6 sert le gouvernement de Sa Majesté et non l’inverse. D’ailleurs, pour stopper cela, c’est au niveau de l’Europe que devrait s’organiser un (contre-) espionnage crédible. Ceci étant dit, Mr. Bond, ne pensez-vous pas avoir mieux à faire pour sauver le monde que de surveiller la Commission européenne et la Région wallonne? Découvrez plutôt qui finance et arme les insurgés islamistes Shebab, Boko Haram, AQMI, …  et surtout pourquoi. Par-delà les butins de piraterie et le trafic de drogue, existe-t-il des parrains ? Qui a intérêt à exporter la terreur sainte en Afrique et à présenter au monde le visage d’un islam menaçant ? A l’époque de la guerre froide, il était aisé d’imaginer ceux qui armaient en sous-main OLP, Guevara, Pinochet, ou Contras. Mais démêler les fils de la nébuleuse Al-Qaïda – c’est autre chose. Et quand je pose ce genre de question à un expert, j’obtiens rarement une réponse. Allo ?… Mr. Bond ? … Allo ?!…   

La particule-dieu (« God Particle »)

Ainsi fut surnommé le Boson scalaire, qui vaut en ce jour à notre compatriote, le professeur ULB François Englert, le prix Nobel de physique. La fierté nationale est fondée. Le Boson est, en effet, la particule élémentaire qui permet d’expliquer l’apparition de la masse. Si j’ai bien compris, cette particule invisible peut être représentée mentalement comme un « champ ». La présence de ce champ de particules, est ce qui donne à d’autres éléments traversant le champ, de prendre de la masse. Nous sommes plongés ici au cœur de la recherche pure en physique et à des années-lumières de toutes considérations théologiques… Le surnom de particule-dieu est donc un simple clin d’œil.

Il n’empêche: Sans vouloir tomber dans le concordisme (essai de conciliation entre découvertes de la science et démarche de foi), il est étonnant de constater qu’au niveau le plus élémentaire des particules, tout n’est qu’interaction entre forces énergétiques. L’univers est interaction. Je dirais même: le réel est interaction. Seul un objet virtuel peut être (imaginé) totalement statique. Ceci se vérifie jusqu’à dans l’écosystème qui permet la vie et même dans l’identité humaine – qui est relationnelle. Il est donc intéressant de noter que la vision chrétienne de Dieu – si infime soit-elle, par rapport à son Mystère infini – est relationnelle: Il est le Dieu-Trinité – éternelle relation du Père et du Fils dans l’Esprit. Il est aussi le Dieu de l’alliance avec les hommes. Cette remarque ne se veut pas une démonstration et encore moins la recherche d’une quelconque preuve. Simplement, un étonnement sous forme de clin d’œil… Peut-être que le Boson est un peu une « particule-dieu » après tout? ;-)

 

Mesure de foi – 27° dimanche, Année C

Les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » (Luc 17, 5-10)

Un jour en Afrique noire, un missionnaire assiste à la fuite de réfugiés. Dans la chaleur écrasante, un jeune garçon porte une fillette sur ses épaules. Le prêtre s’approche et lui glisse : « Jeune homme, tu portes là un bien lourd fardeau ». Le garçon répondit :  « Père, ce n’est pas un fardeau. Il s’agit de ma petite sœur. » Quand quelqu’un nous est précieux, nous sommes capable de nous dépasser. Ainsi, la foi. Il ne s’agit pas d’un truc d’athlète spirituel qui « s’augmente » par entrainement intensif – comme le pensaient les disciples. La foi est une relation de confiance. Dieu a foi en nous. Tel ce jeune africain portant sa sœur, Christ nous porte sur la croix. A notre tour, donnons-Lui notre confiance – notre foi. Alors,  nous déplacerons des montagnes. Ce faisant, à l’instar de ce garçon africain, nous n’aurons pas l’impression de faire quelque chose d’exceptionnel. Simplement notre devoir.     

Lampedusa – la honte et l’espérance

La honte est un sentiment de dégoût de soi, souvent mâtiné d’impuissance. Peut-être le Belge ressent-il un peu cela, suite à l’extradition de Nizar Trabelsi, apparemment contraire aux règles de la Convention européenne des droits de l’homme (qui nous lie en droit)? Mais ici, joue la raison d’état. Face à l’auteur d’un attentat avorté sur le sol belge, contre une base militaire américaine contenant des têtes nucléaires – la pression diplomatique a dû être maximale.

Par contre, comment réagir face à la tragédie de Lampedusa? « Le naufrage de Lampedusa est une honte ». Les mots du Pape sonnent juste, même si une part d’impuissance se mêle à la honte: L’Europe ne peut accueillir toute la misère du monde – comme le rappelait le français Michel Rocard. Il n’empêche, les éditos du jour des quotidiens La Libre  et  Le Soir  le rappellent: Des pistes existent pour sortir du marasme. Une politique plus intégrée des flux migratoires au niveau de l’Union européenne porterait ses fruits, autant sans doute qu’un commerce international avec ces pays qui soit vraiment équitable. Personne n’a de solution facile pour empêcher qu’un nouveau bateau chavire au pied de l’Europe. Mais s’en tirer par un haussement d’épaule et une indifférence gênée – n’est pas digne des valeurs que nous défendons dans le monde. Comme chrétiens et comme citoyens. Saint François d’Assise, guérissez-nous de nos aveuglements égoïstes.

Sur le pas de ma porte… – 26° dimanche, Année C

 « Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail…». (Luc 16, 19-31)

Elle est dure cette parabole du riche et du pauvre Lazare. A la fin de sa vie terrestre, l’homme fortuné finit au séjour des morts en proie à une soif terrible. Pourquoi un tel châtiment ? Ce n’est pas sa richesse qui lui est reprochée. Pas non plus le fait qu’il n’ait pas secouru tous les pauvres de la terre. « Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous » (Matthieu 26,11), reconnaissait d’ailleurs le Christ. Non – ce qui est reproché au riche, c’est de ne pas avoir secouru ce malheureux-là, qui était couché devant sa porte. De ne pas avoir saisi qu’il était, lui aussi, un être humain. Avec un visage et un prénom : Lazare. Notons au passage que dans la parabole, c’est le riche qui n’a pas de prénom. Son égoïsme l’a dépouillé de toute humanité. C’est donc ce cœur de pierre qui l’a retranché du paradis et qui le torture comme une soif incessante.

Méditons cette parabole. Il ne nous est pas demandé de sauver le monde entier. Mais sur le pas de notre porte, des frères et sœurs attendent de notre part – qui un coup de main, qui un sourire, qui une parole d’encouragement, qui un geste de pardon, etc. Ne soyons pas aveugle comme ce riche. Conduisons-nous en chrétien – ou, tout au moins, en humain.