Daniel Cordier, d’une brûlante actualité – Marianne Belgique p.12

Ci-dessous ma chronique parue dans l’hebdo Marianne-B de cette semaine:

 « Voici donc (…) cette vie singulière qui commença pour moi le 17 juin 1940, avec le refus du discours de Pétain (…). J’avais 19 ans. Après deux années de formation en Angleterre dans les Forces françaises libres du général de Gaulle, j’ai été parachuté à Montluçon (…) Je fus choisi par Jean Moulin pour devenir son secrétaire. J’ai travaillé avec lui jusqu’à son arrestation, le 21 juin 1943. » Ainsi raconte Daniel Cordier dans « Alias Caracalla », autobiographie parue chez Gallimard en 2009. Popularisé à la télévision par un récent biopic, ce parcours est d’une brûlante actualité. Voilà un jeune Maurassien – antisémite convaincu – que le patriotisme fera entrer en résistance et que Jean Moulin – républicain et fils de dreyfusard – prendra à son service. Daniel Cordier sortira de la grande épreuve en humaniste et consacrera sa vie à l’amour des arts. En ce début de 3° millénaire, trop de jeunes se construisent à nouveau une carapace identitaire sous la forme du fondamentalisme politique, idéologique ou religieux. Parlons-leur de la vie de cet homme. Non pas comme on parle d’un monument du passé. Mais parce que le jeune Daniel leur ressemble. Et rappelons-leur la leçon de vie que Jean Moulin – son mentor – lui a inculquée : Force et courage sont étrangers à la raideur du monolithe. A la manière du peintre, ils honorent la beauté d’un monde bariolé de couleurs.

« Dieu nourrit. Et toi ? » – Fête du Corps et du Sang du Christ, Année C

 «Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les morceaux qui restaient. ». (Luc 9, 11-17)

La fête du Corps et du Sang du Christ – appelée communément « Fête-Dieu » – est d’origine liégeoise et fut instituée au XIIIe siècle. Comme le rappela le pape Paul VI en 1965 : « elle fut célébrée la première fois au diocèse de Liège, spécialement sous l’influence de la Servante de Dieu, sainte Julienne du MontCornillon, et Notre Prédécesseur Urbain IV l’étendit à l’Eglise universelle » (encyclique Mysterium Fidei n°63).

Il est intéressant de noter que l’Evangile du dimanche, est le récit de la multiplication des pains, qui nous parle tout à la fois du don de Dieu et de partage humain. En effet, il aura fallu que quelqu’un offre ses 5 pains et deux poissons, pour que le Christ les multiplie et que la foule soit rassasiée. Comme quoi, il ne faut jamais séparer la dimension verticale de l’Eucharistie (le Christ se donne en nourriture) et sa dimension horizontale (l’Eucharistie invite au partage avec les plus démunis). Certains baptisés insistent sur le vertical. D’autres sur l’horizontal. Ces nuances sont humaines. A condition de ne pas oublier qu’il faut les deux dimensions… pour former une croix, symbole des Chrétiens.

Nouvel Evêque de Liège – « Ce qui est né de la chair est chair. Ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jean 3,6)

Pendant des mois, le diocèse de Liège a vécu l’attente de son futur évêque, dans la prière, mais également – et c’est bien humain – sous un bruissement de rumeurs. Des noms furent cités dans la presse et au fond des sacristies. Cela, c’est ce que – à la suite de Jésus – la tradition chrétienne appelle « la vie selon la chair », c’est-à-dire la vie selon la logique humaine. Et puis, en ce 31 mai – fête de la Visitation de Marie – arrive la nomination faite par le Pape. Une « visitation » en quelque sorte et elle remplira le diocèse de joie. En effet, le futur évêque de Liège, Mgr Jean-Pierre Delville, est ce qu’on appelle un « chic type »: Aimable, prudent, bienveillant, drôle, sociable et capable de réflexions pointues – tout comme de bonnes vulgarisations. Il a l’érudition du professeur en histoire de l’Eglise et c’est un conteur-né. C’est également un excellent organiste et un mélomane. Son appartenance à la communauté de Sant Egidio fait comprendre son ancrage spirituel et ecclésial profond, tout à l’écoute des plus pauvres. Cependant, les nombreuses qualités d’un homme – et ses inévitables quelques défauts – ne sont pas l’élément le plus important pour les catholiques liégeois. « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jean 3,6) C’est surtout selon la logique de l’Esprit – c’est-à-dire la logique de Dieu – que chaque catholique liégeois est invité à accueillir son nouveau pasteur et à prier pour lui. Notre-Dame de la Visitation et Saint-Lambert – patron du diocèse de Liège – nous vous confions notre futur évêque Jean-Pierre. Donnez-nous de prier pour lui et aidez-nous à collaborer avec lui, afin que s’accomplisse l’œuvre de l’Esprit.

Catholiques et Francs-Maçons – Entre contentieux et dialogue

Qui est à l’origine de la lettre anonyme dénonçant le Curé de Megève comme franc-maçon? Un catholique zélé jouant aux détectives, un membre de son entourage, ou un frère maçon enfreignant la règle sacrée de la discrétion?  Mystère. Quoi qu’il en soit, l’attitude de son évêque demandant au prêtre de choisir entre la poursuite de l’exercice de son ministère et son appartenance à une loge du Grand-Orient, a suscité des réactions en sens divers.
Il y a, d’une part, tous ceux à qui ce genre de faits-divers donne le goût du sang: « Les franc-macs, sont les suppôts du diable – on aurait dû excommunier ce prêtre renégat », d’un côté et  « Les cathos ont, une fois de plus, montré leur vrai visage: celui de la crasse intolérance », de l’autre. Ce genre de posture rassure les esprits friables. Dans un monde où s’effacent nombre de repères, ceux-là se confortent en relançant en ce début de XXIe siècle, des conflits du XVIIIe. Dont acte.
Il y en a d’autres qui – au nom de l’ouverture – regrettent la décision de l’évêque. Pour eux, le mariage entre catholicisme et franc-maçonnerie est possible. Dans l’état actuel de la question, je ne partage pas cet avis. Non pas – selon des propos que me prête le quotidien bruxellois « Le Soir » de samedi dernier (p.17) – parce qu’il est difficilement « acceptable que les catholiques appartiennent à des associations non catholiques » … Car, dans ce cas, à peu près tous les catholiques sont hors-la-loi, à commencer par votre serviteur – membre de plusieurs associations non catholiques.  Mais bien – comme je m’en suis expliqué dans ma préface à l’ouvrage d’Hervé Hasquin: « Les catholiques belges et la franc-maçonnerie », que j’invite le lecteur à (re-)lire – parce que « la fracture ne me semble pas qu’affective – mais également effective. Il est vrai que la maçonnerie ne véhicule aucune doctrine officielle, mais l’anthropologie commune  aux loges me paraît davantage insister sur l’autonomie du sujet, là où la vision catholique souligne la personne en relation ».  

J’en veux pour nouvelle preuve le débat français sur le « mariage pour tous ». Le 5 novembre 2012, le Grand Orient de France (GODF) soutenait ce projet de loi qui « vise à assurer une reconnaissance républicaine du libre choix matrimonial des individus qui le souhaitent, au nom de l’égalité des droits », condamnant par la même occasion le propos du Cardinal-Archevêque de Paris qui – lui – avait dénoncé des « mutations profondes de notre législation qui pourraient transformer radicalement les modalités des relations fondatrices de notre société « . Pareilles positions furent jugées par le GODF « arriérées voire obscurantistes en décalage complet avec les nécessaires évolutions sociales et politiques de notre temps ». Et le GODF de conclure: « Au nom de la Laïcité, le Grand Orient de France rappelle que les Églises doivent se restreindre à la seule sphère spirituelle, et ne pas interférer, par des imprécations stigmatisantes et des amalgames violents et haineux, avec les légitimes débats publics et démocratiques qui président à l’évolution et au progrès des droits civils ».  (Le GODF renouvela cette prise de position le 14 janvier 2013)

Je fais quatre observations et j’y réagis:
Primo – Comme je l’énonçais dans ma préface au livre d’Hervé Hasquin, nous assistons bien à un conflit d’anthropologie. Sans entrer, une fois encore dans le débat de fond concernant le « mariage pour tous », je souligne qu’il y a deux angles d’approche: Là où le GODF défend un projet de loi qui offre plus d’autonomie aux individus, l’Eglise catholique s’y oppose car cette loi touche à une relation sociale fondatrice, soit le mariage comme union des deux sexes. Ma réaction: La différence d’anthropologie est respectable et alimente le débat citoyen. Mais, une fois encore, pareille différence illustre que le contentieux qui oppose Catholicisme et Franc-Maçonnerie, reste d’actualité.
Secundo – Le GODF se veut libre de toute appartenance dogmatique, mais condamne la position catholique, comme étant « en décalage complet avec les nécessaires évolutions sociales et politiques de notre temps ». Je note ici une sacralisation du temps, quelque peu… dogmatique. Ce qui correspond à l’évolution des mœurs est déclaré comme allant forcément dans le sens de l’histoire. Ma réaction: Sacraliser l’évolution me semble peu compatible avec la libre pensée. Pourquoi les mœurs d’aujourd’hui seraient-elles automatiquement meilleures que celles de nos grand-mères?
Tertio – Le GODF enjoint les religions à « restreindre leur parole à la sphère spirituelle », c’est-à-dire à ne pas se prononcer sur un débat de société. Alors que le Grand Orient ne se prive pas de prendre position. Ma réaction: Je considère sain et naturel que le monde maçonnique s’exprime dans des débats de société, mais – au nom de cette même liberté d’expression – je n’accepterai jamais que l’opinion catholique soit exilée de l’espace public. Les Eglises, autant que les loges maçonniques, sont des membres de la société civile. Elles ont donc droit à la libre expression de leurs opinions.
Quarto – Le GODF invite – à juste titre – à la sérénité du débat démocratique, mais use à l’encontre de l’Eglise catholique d’un vocabulaire fort émotionnel, du genre: « imprécations stigmatisantes et amalgames violents et haineux ». Ma réaction: Sans en faire un drame – car cela fait partie de la nature humaine – je déplore les dérapages verbaux d’où qu’ils viennent. Accuser l’autre d’être un mauvais citoyen, simplement parce qu’il ne partage pas votre avis – est indigne de la démocratie. (Lire à cet effet, ma chronique: « L’homme ne naît pas démocrate »). Je ne puis donc accepter que le GODF taxe les prises de position du Cardinal-Archevêque de Paris d' »imprécations stigmatisantes et amalgames violents et haineux ».  Je n’accepte pas davantage l’attitude de cathos ultras français qui traitent d’illégitime, un gouvernement démocratiquement élu. Je fais mien les propos prononcés ce 11 mai dernier à Lyon, par le Ministre de l’intérieur de la République: « La laïcité est un rempart contre tous ceux qui veulent mettre sur la scène publique le refus du débat et l’obscurantisme qui n’y ont pas place (…) Grâce à ce principe, je peux dialoguer de manière régulière, même si ça n’est pas toujours facile – n’est-ce pas monsieur le cardinal ? – sur des questions de société qui font débat » (Manuel Valls s’adressait ici au cardinal Barbarin).

Conclusion: Entre Catholicisme et Franc-maçonnerie, je récuse la guerre des tranchées et la diabolisation mutuelle. Les démocrates français sont tout à la fois héritiers du catholique Charles de Gaulle et du laïque Jean Moulin. Ceci est d’autant plus vrai que les francs-maçons sont au moins aussi pluriels que ne le sont les catholiques. Dans l’état actuel du contentieux, je ne suis cependant pas favorable à forcer une réconciliation. Je me fais donc l’avocat du dialogue, car se parler malgré les oppositions, n’est pas un luxe de salon. Le socle de valeurs communes sur lequel repose une société fondée sur les droits de l’homme, est plus fragile qu’il n’y paraît. Et il existe un domaine où se rejoignent fils d’Hiram et fidèles de Rome – celui de la philosophie. Tant l’Eglise catholique que la Franc-maçonnerie font confiance au pouvoir de la raison humaine et se doivent, dès lors, d’être adeptes d’une vie politique qui fasse droit au débat entre opinions contradictoires. J’en suis persuadé : les frères ennemis sont aussi parfois des alliés naturels. Ainsi, face à toute confusion entre science et foi, comme c’est le cas avec le créationnisme. C’est au nom de ce dialogue que j’ai invité des maçons à parler en milieu catholique et que j’ai été, à plusieurs reprises, honoré d’être invité à participer à une tenue blanche (assemblée maçonnique qui reçoit un non maçon pour dialoguer avec lui). Ce dialogue n’est pas aisé (jusqu’à présent, je n’ai jamais été invité par une loge dans ma propre ville), mais nous ne pouvons nous y soustraire: Pas de démocratie sans débat respectueux de l’autre – quelle que soit la profondeur de nos divergences.

L’argent n’a pas d’odeur. Vraiment?

« Qu’est-ce que l’argent? » Voilà bien une question tout à la fois simple et complexe. La réponse la plus universellement acceptée semble être: L’argent est un étalon symbolique qui mesure la valeur des biens, afin de permettre les échanges commerciaux. Vient alors inévitablement cette nouvelle interrogation: « Et qu’est-ce qui fixe la valeur de cet étalon de valeur? » Avant, la plupart auraient dit: « C’est le Prince qui frappe la monnaie en fonction des réserves en or de la banque nationale qui émet la devise« . Mais ça, c’était avant. Depuis, l’économie est mondialisée et la monnaie s’est numérisée. Le Prince (les états nationaux) est globalement hors-jeu. Quant à l’or, depuis l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971, il ne sert plus que de butin de guerre symbolique, mais ne représente plus une garantie de solvabilité obligatoire. Aujourd’hui, le seul étalon pour mesurer la valeur de l’argent est la confiance que les marchés font à chaque devise. La monnaie est devenue « fiduciaire » au sens fort du terme.
L’argent est donc un étalon symbolique fondé sur la confiance de ses utilisateurs. Pas étonnant qu’une notion aussi peu solide, soit appelée « du liquide »… Une des choses que j’apprécie chez l’économiste Bruno Colmant, est sa capacité à prendre du recul quand il analyse la notion même de l’argent. Je vous invite ainsi à lire son article sur le ‘money fiat’ (la création de devise), ainsi que celui sur le rapport à l’argent qu’entretiennent les Américains, les Allemands et les Français. En résumé: Si les grandes nations vivent des tensions par rapport à leur devise en ce temps de crise économique, ce n’est pas uniquement parce que les unes sont cigales et les autres fourmis. C’est aussi – et peut-être davantage qu’on ne le pense – parce que diffère le rapport affectif que chaque nation entretient avec cet étalon symbolique qu’est l’argent. Pas d’odeur l’argent… Vraiment?

Dollar philosophal
Prenons le cas des Etats-Unis. L’empire d’outre-Atlantique est bien plus endetté que l’Europe et pourtant, il continue à doper son économie en y injectant des milliards de dollars. Cela, sans hyperinflation. Pourquoi? Cela s’explique par la fonction tout à la fois pragmatique et impériale de la devise au pays de l’Oncle Sam. Pragmatique: Si c’est par l’endettement que l’économie tourne mieux, l’Américain n’aura pas de scrupule: « Cela fonctionne. Où est le problème? » Impériale: Cette civilisation de pionniers a fait de sa devise la nouvelle frontière. Le billet vert est le socle de l’économie mondiale et un nouvel afflux de dollars sert donc de monnaie de réserve à toutes les économies émergentes dont la balance commerciale est en bonus. De par sa situation éminente actuelle, l’Amérique est donc le seul pays au monde qui peut faire des dettes sans avoir vraiment à les rembourser… Car ses dettes valent de l’or. Une version actualisée de la pierre philosophale, en quelque sorte. Le jour où la place centrale du dollar dans l’économie mondiale cessera, les Américains adapteront leur politique monétaire dans la douleur, mais non sans un même pragmatisme.

L’euro, le beurre de l’euro et le sourire de la Chancelière
Observons l’axe franco-germanique, qui est la colonne vertébrale de l’euro. Je me remémore cet ami de vieille souche française, qui pliait négligemment ses billets dans la poche. Une façon inconsciente d’exprimer son mépris pour l’argent. Comme l’écrit Bruno Colmant, dans une culture de tradition catholique, l’argent est plutôt perçu comme un mal nécessaire. Les citoyens doivent le souffrir et l’Etat le juguler. Pour soulager une population en récession économique, une dévaluation n’est donc pas un drame. Au contraire, elle signifie que l’Etat reste maître de sa monnaie. En bref, dans une culture latine et catholique, l’argent est ce qui permet d’acheter du beurre. Dans une culture nordique et protestante, par contre, l’argent est paré d’une certaine noblesse. Il signale que son possesseur a vendu du beurre et qu’il pourra investir dans une crèmerie. Ici, la monnaie est le fruit d’un juste labeur et la source de nouveaux investissements. Il s’agit donc d’un symbole qui se doit de demeurer fort et respecté. Une dévaluation est toujours un échec – surtout en Allemagne, qui vit encore le traumatisme de l’hyperinflation des années ’20 du siècle dernier. (Bruno Colmant rappelle, bien à propos, que le mot allemand Schuld désigne tout à la fois la dette et la faute). Nombre d’experts conseillent une dévaluation progressive de l’euro par voie d’inflation contrôlée. Cependant, il faut se rendre à l’évidence: Sans une plus grande intégration de la politique monétaire européenne, on ne peut avoir l’euro, le beurre de l’euro et le sourire de la Chancelière.

Smith sur le divan de Freud
Ce que nous constatons en micro-économie vaut en macro-économie: Le « sujet économique standard » est une abstraction. Un patron d’entreprise engage et son concurrent licencie. Un employé dépense et son collègue épargne. Un consommateur achète une moto et son voisin une assurance-vie. Pourquoi? Pour autant de raisons conscientes et rationnelles, qu’inconscientes et affectives. Il en va de même pour les populations. Une analyse ne peut faire l’impasse sur le rapport affectif qui lie les cultures à l’économie en général et à l’argent en particulier. Les pères fondateurs de l’Europe – et leurs successeurs qui signèrent en 1992 le Traité de Maastricht – avaient bien compris que l’orgueil monétaire alimente le ressentiment nationaliste, et que celui-ci conduit à la guerre. Le mouvement de repli identitaire actuel est une réaction de protection compréhensible, mais adolescente. Cela, et malgré leurs puissantes différences, les Texans, Californiens, New-Yorkais et habitants du Midwest, l’ont bien compris. Ceux qui méprisent la devise européenne comme un corps étranger, doivent expliquer où le tribalisme s’arrête et pourquoi. Demain poussera-t-il sur les ruines de l’euro, une monnaie bretonne, écossaise, flamande et – mieux encore – principautaire liégeoise? A l’inverse, ceux qui veulent sauver l’euro, ne peuvent oublier qu’on ne bâtit une communauté de destin qu’en tenant compte de la réalité des peuples. Et le rapport à l’argent de ceux-ci est plus émotionnel qu’il n’y paraît. On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Si Adam Smith se couchait un peu plus souvent sur le divan de Sigmund Freud, peut-être en serait-il moins convaincu.

« Trois fois Saint » – Sainte Trinité, Année C

 «  Tout ce qui appartient à mon Père est à Moi ; voilà pourquoi je vous ai dit ; l’Esprit reprend ce qui vient de Moi pour vous le faire connaître ». (Jean 16, 12-15)

La Trinité n’est pas un problème de mathématiques. Pourtant, comme l’amour ne s’additionne pas, mais se multiplie – ne dit-on pas le « Dieu trois fois Saint » ? – chacun peut vérifier que 1 X 1 X 1, cela fait toujours 1. La Trinité : 3 Personnes divines en un seul Dieu. Mais bien plus qu’un problème de mathématiques, la Trinité est Mystère d’amour. Le peu que la révélation chrétienne nous ait donné de percevoir de l’infinité de Dieu, est que celui-ci est une éternelle Relation de Don : entre le Père qui est Source de tout Don, le Fils à Qui le Don est destiné et qui le rend au Père dans l’unité de l’Esprit – qui est Don.  La Bible nous enseigne que l’homme est créé à l’image de Dieu. Voilà pourquoi nous sommes des êtres relationnels et voilà pourquoi seul le Don de nous-mêmes nous fait rejoindre notre vérité profonde. Devenir disciple du Christ et vivre son baptême, c’est dans l’Esprit s’unir au don du Fils pour devenir enfant du Père.       

In memoriam Edouard Jakhian – racines, vérité, courage

Edouard Jakhian vient de nous quitter. Grâce à une amie journaliste, j’ai eu la chance et l’honneur de déjeuner quelques fois avec le défunt bâtonnier. Outre sa grande gentillesse, il m’impressionna par trois aspects de sa personnalité: racines, vérité et courage.

Racines – Cet Arménien, né à Bruxelles, revendiquait ses racines. Bien que ce juriste de l’ULB ne professait pas de foi explicite (du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre, car il parlait de la religion avec tact et respect), il s’est battu pour que les Arméniens aient une église à Bruxelles.

Vérité – Si la reconnaissance du génocide arménien (et de tous les génocides) l’habitait, c’était au nom de la vérité. Jamais de la vengeance. Il parlait des Turcs avec grande élégance. Si je devais résumer sa pensée sur la question, je dirais: « La vérité guérit. La vengeance salit ».

Courage – Cet intellectuel avait compris que, sans le courage des forts, le faible devient un opprimé. Il en appelait à une citoyenneté debout dans la tempête. En cela, il y avait un côté « churchillien » chez lui. Et chacun aura compris que, dans ma bouche, il s’agit d’un compliment.

Cher Edouard Jackian, je prie pour vous. Et du plus profond de moi-même, je pense que vous entendez désormais la Voix vous caresser l’âme par ces mots: «C’est bien, serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Maître». (Mt 25, 21)

« Clarté dans la nuit profonde » – Pentecôte, Année C

 « Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en Mon nom, Lui, vous enseignera tout et Il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit ». (Jean 14, 15-26)

Observez la flamme d’une bougie. Elle est si petite et sa lumière est bien fragile. Un rien et elle s’éteint. Et pourtant… Placez-la dans une grande pièce sombre : elle l’illuminera. Ainsi l’Esprit de Pentecôte. Sa présence paraît parfois insignifiante au cœur de nos vies. Mais sa clarté éclaire la nuit la plus sombre. « L’Esprit Saint que le Père enverra en Mon nom, Lui, vous enseignera tout. » Un sourire à celui qui n’attire jamais l’attention. Un merci à celle dont le labeur semble une évidence. Un coup de main à celui qui a déjà baissé les bras. Une écoute de celle qui n’a rien à dire. Une visite à celui qui se sent oublié. Un pardon à celle qui a tout gâché. Une prière pour celui qui vient de nous insulter. Une pensée pour celle qui, depuis longtemps, est décédée. Ainsi l’Esprit.

Je crois que je vais aller buter un Curé…

« Au nom du fils » est joué depuis peu dans un cinéma de ma bonne ville de Liège. Pour ceux qui n’ont pas encore entendu parler du film de Vincent Lannoo, il s’agit de l’histoire d’une sage paroissienne, animatrice bénévole de radio catholique. Le jour où son fils adolescent – abusé par un prêtre – se suicide, son monde bascule. La fidèle devient vengeresse: Elle abat sans pitié tous les ecclésiastiques abuseurs sur sa route. Sur le modèle de « Pulp fiction » de Tarantino, il s’agit donc de ce que le réalisateur appelle un « pamphlet jubilatoire », nullement économe en hectolitres d’hémoglobine. Je n’irai pas voir ce film, mais – sur le principe – je n’ai rien à redire. La pédophilie n’a touché qu’une minorité du clergé catholique et elle sévit bien ailleurs – à commencer dans les familles. Il n’empêche, ce qui a eu lieu au sein d’une Eglise dont le « core business » est la défense des plus petits, mérite l’opprobre. Outre que l’abus sexuel est un sordide délit, quand celui-ci est commis par un « homme de Dieu » – cela est particulièrement grave: En plus de la souillure du corps et de la confiance envers l’adulte, c’est toute la relation à la Transcendance qui est salie. Dès lors, si d’aucuns s’en donnent aujourd’hui à cœur joie par une démarche cinématographique « jubilatoire », reconnaissons que certains au sein du catholicisme leur ont fourni des bâtons pour se faire battre.

Rien à redire donc sur le film, ni sur la vidéo de promotion, qui interroge les spectateurs liégeois à la sortie de la première en Cité ardente. Que la production ne garde que les commentaires élogieux, est de bonne guerre. Ce qui dérange, c’est que cette vidéo se conclut par la provocation d’un spectateur: « Je crois que je vais aller buter un Curé ». Et que, sur son site Facebook, la production salue la remarque par ces mots: « Mention spéciale pour la dernière phrase de la vidéo ».  Malgré le  petit smiley » qui suit le commentaire, ici une ligne rouge est franchie. Non pas par le provocateur qui – je l’espère – manie le second degré. Mais par la production, qui met sa boutade en exergue. Pour rappel, selon le centre pour l’égalité des chances, par « inciter à la (cyber)haine« , « il faut entendre toute communication verbale ou non-verbale qui incite à, stimule, attise, encourage, accentue, provoque, pousse ou appelle d’autres personnes à certaines réactions de haine ». Imaginons un film sur le fondamentalisme musulman, que les producteurs ponctueraient par l’éloge de la remarque: « Je crois que je vais aller buter un Imam ». Ou un film sur des malversations en milieu maçonnique ponctué par: « Je crois que vais aller buter un Vénérable ». Dans le prolongement de « l’affaire Trullemans », je doute que cela passerait. Entendons-nous bien: Je ne fais pas partie de ceux qui proclament que les catholiques sont devenus les parias de notre société. Je réclame simplement les même droits pour tous les citoyens – en ce compris les Curés. Il est un peu court de s’en tirer en disant: « Lol, c’était pour rire! ». Le jour où un déséquilibré prend une arme et « bute un Curé » – il sera trop tard de s’en étonner au cours de doctes débats télévisés dominicaux.

Pour conclure, j’ajoute que ces jours-ci, j’ai assisté – dans les diverses paroisses du centre-ville à Liège, dont je suis le… Curé – à plusieurs fort belles cérémonies de premières communions et de profession de foi. Les enfants semblaient heureux de mieux découvrir le Christ et désireux de vouloir grandir au sein de son Eglise. Le catholicisme ne se réduit pas à des pamphlets, si jubilatoires soient-ils. Cela aussi, méritait d’être rappelé.

 

« L’union fait la force » – 7° dimanche de Pâques, Année C

« Que tous, ils soient un, comme Père, Tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que Tu m’as envoyé. (…) Que leur unité soit parfaite. » (Jean 17, 20-26)

L’Esprit unifie. Non pas de l’extérieur, comme un moule qui donne forme à une pâtisserie. Mais bien de l’intérieur, comme la sève qui irrigue l’arbre, ou le sang qui alimente le corps. D’où l’importance d’avoir une « vie intérieure ». Comment laisser l’unité se faire en nous, si nous passons notre vie à nous agiter au milieu du bruit ? Les jeunes disent : « On s’éclate ». Cela convient pour une soirée de détente, mais pas pour toute une vie. Celui qui passe son existence à « s’éclater », finit par ne vivre qu’à la périphérie de son être. Il devient – au sens étymologique du terme – une être « excentrique », c’est-à-dire un être qui n’a plus de centre. D’où l’importance « vitale » de laisser place au creux de nos vies, à du silence et de la prière. Là, l’Esprit parle à l’intérieur de notre esprit et Il nous unifie. « Que tous, ils soient un, comme Père, Tu es en moi, et moi en toi. »

Durant l’ultime semaine qui nous sépare de la Pentecôte – fête du don de l’Esprit, prions chaque jour dans le silence. Demandons au Souffle de Dieu de nous unifier.