Qui est à l’origine de la lettre anonyme dénonçant le Curé de Megève comme franc-maçon? Un catholique zélé jouant aux détectives, un membre de son entourage, ou un frère maçon enfreignant la règle sacrée de la discrétion? Mystère. Quoi qu’il en soit, l’attitude de son évêque demandant au prêtre de choisir entre la poursuite de l’exercice de son ministère et son appartenance à une loge du Grand-Orient, a suscité des réactions en sens divers.
Il y a, d’une part, tous ceux à qui ce genre de faits-divers donne le goût du sang: « Les franc-macs, sont les suppôts du diable – on aurait dû excommunier ce prêtre renégat », d’un côté et « Les cathos ont, une fois de plus, montré leur vrai visage: celui de la crasse intolérance », de l’autre. Ce genre de posture rassure les esprits friables. Dans un monde où s’effacent nombre de repères, ceux-là se confortent en relançant en ce début de XXIe siècle, des conflits du XVIIIe. Dont acte.
Il y en a d’autres qui – au nom de l’ouverture – regrettent la décision de l’évêque. Pour eux, le mariage entre catholicisme et franc-maçonnerie est possible. Dans l’état actuel de la question, je ne partage pas cet avis. Non pas – selon des propos que me prête le quotidien bruxellois « Le Soir » de samedi dernier (p.17) – parce qu’il est difficilement « acceptable que les catholiques appartiennent à des associations non catholiques » … Car, dans ce cas, à peu près tous les catholiques sont hors-la-loi, à commencer par votre serviteur – membre de plusieurs associations non catholiques. Mais bien – comme je m’en suis expliqué dans ma préface à l’ouvrage d’Hervé Hasquin: « Les catholiques belges et la franc-maçonnerie », que j’invite le lecteur à (re-)lire – parce que « la fracture ne me semble pas qu’affective – mais également effective. Il est vrai que la maçonnerie ne véhicule aucune doctrine officielle, mais l’anthropologie commune aux loges me paraît davantage insister sur l’autonomie du sujet, là où la vision catholique souligne la personne en relation ».
J’en veux pour nouvelle preuve le débat français sur le « mariage pour tous ». Le 5 novembre 2012, le Grand Orient de France (GODF) soutenait ce projet de loi qui « vise à assurer une reconnaissance républicaine du libre choix matrimonial des individus qui le souhaitent, au nom de l’égalité des droits », condamnant par la même occasion le propos du Cardinal-Archevêque de Paris qui – lui – avait dénoncé des « mutations profondes de notre législation qui pourraient transformer radicalement les modalités des relations fondatrices de notre société « . Pareilles positions furent jugées par le GODF « arriérées voire obscurantistes en décalage complet avec les nécessaires évolutions sociales et politiques de notre temps ». Et le GODF de conclure: « Au nom de la Laïcité, le Grand Orient de France rappelle que les Églises doivent se restreindre à la seule sphère spirituelle, et ne pas interférer, par des imprécations stigmatisantes et des amalgames violents et haineux, avec les légitimes débats publics et démocratiques qui président à l’évolution et au progrès des droits civils ». (Le GODF renouvela cette prise de position le 14 janvier 2013)
Je fais quatre observations et j’y réagis:
Primo – Comme je l’énonçais dans ma préface au livre d’Hervé Hasquin, nous assistons bien à un conflit d’anthropologie. Sans entrer, une fois encore dans le débat de fond concernant le « mariage pour tous », je souligne qu’il y a deux angles d’approche: Là où le GODF défend un projet de loi qui offre plus d’autonomie aux individus, l’Eglise catholique s’y oppose car cette loi touche à une relation sociale fondatrice, soit le mariage comme union des deux sexes. Ma réaction: La différence d’anthropologie est respectable et alimente le débat citoyen. Mais, une fois encore, pareille différence illustre que le contentieux qui oppose Catholicisme et Franc-Maçonnerie, reste d’actualité.
Secundo – Le GODF se veut libre de toute appartenance dogmatique, mais condamne la position catholique, comme étant « en décalage complet avec les nécessaires évolutions sociales et politiques de notre temps ». Je note ici une sacralisation du temps, quelque peu… dogmatique. Ce qui correspond à l’évolution des mœurs est déclaré comme allant forcément dans le sens de l’histoire. Ma réaction: Sacraliser l’évolution me semble peu compatible avec la libre pensée. Pourquoi les mœurs d’aujourd’hui seraient-elles automatiquement meilleures que celles de nos grand-mères?
Tertio – Le GODF enjoint les religions à « restreindre leur parole à la sphère spirituelle », c’est-à-dire à ne pas se prononcer sur un débat de société. Alors que le Grand Orient ne se prive pas de prendre position. Ma réaction: Je considère sain et naturel que le monde maçonnique s’exprime dans des débats de société, mais – au nom de cette même liberté d’expression – je n’accepterai jamais que l’opinion catholique soit exilée de l’espace public. Les Eglises, autant que les loges maçonniques, sont des membres de la société civile. Elles ont donc droit à la libre expression de leurs opinions.
Quarto – Le GODF invite – à juste titre – à la sérénité du débat démocratique, mais use à l’encontre de l’Eglise catholique d’un vocabulaire fort émotionnel, du genre: « imprécations stigmatisantes et amalgames violents et haineux ». Ma réaction: Sans en faire un drame – car cela fait partie de la nature humaine – je déplore les dérapages verbaux d’où qu’ils viennent. Accuser l’autre d’être un mauvais citoyen, simplement parce qu’il ne partage pas votre avis – est indigne de la démocratie. (Lire à cet effet, ma chronique: « L’homme ne naît pas démocrate »). Je ne puis donc accepter que le GODF taxe les prises de position du Cardinal-Archevêque de Paris d' »imprécations stigmatisantes et amalgames violents et haineux ». Je n’accepte pas davantage l’attitude de cathos ultras français qui traitent d’illégitime, un gouvernement démocratiquement élu. Je fais mien les propos prononcés ce 11 mai dernier à Lyon, par le Ministre de l’intérieur de la République: « La laïcité est un rempart contre tous ceux qui veulent mettre sur la scène publique le refus du débat et l’obscurantisme qui n’y ont pas place (…) Grâce à ce principe, je peux dialoguer de manière régulière, même si ça n’est pas toujours facile – n’est-ce pas monsieur le cardinal ? – sur des questions de société qui font débat » (Manuel Valls s’adressait ici au cardinal Barbarin).
Conclusion: Entre Catholicisme et Franc-maçonnerie, je récuse la guerre des tranchées et la diabolisation mutuelle. Les démocrates français sont tout à la fois héritiers du catholique Charles de Gaulle et du laïque Jean Moulin. Ceci est d’autant plus vrai que les francs-maçons sont au moins aussi pluriels que ne le sont les catholiques. Dans l’état actuel du contentieux, je ne suis cependant pas favorable à forcer une réconciliation. Je me fais donc l’avocat du dialogue, car se parler malgré les oppositions, n’est pas un luxe de salon. Le socle de valeurs communes sur lequel repose une société fondée sur les droits de l’homme, est plus fragile qu’il n’y paraît. Et il existe un domaine où se rejoignent fils d’Hiram et fidèles de Rome – celui de la philosophie. Tant l’Eglise catholique que la Franc-maçonnerie font confiance au pouvoir de la raison humaine et se doivent, dès lors, d’être adeptes d’une vie politique qui fasse droit au débat entre opinions contradictoires. J’en suis persuadé : les frères ennemis sont aussi parfois des alliés naturels. Ainsi, face à toute confusion entre science et foi, comme c’est le cas avec le créationnisme. C’est au nom de ce dialogue que j’ai invité des maçons à parler en milieu catholique et que j’ai été, à plusieurs reprises, honoré d’être invité à participer à une tenue blanche (assemblée maçonnique qui reçoit un non maçon pour dialoguer avec lui). Ce dialogue n’est pas aisé (jusqu’à présent, je n’ai jamais été invité par une loge dans ma propre ville), mais nous ne pouvons nous y soustraire: Pas de démocratie sans débat respectueux de l’autre – quelle que soit la profondeur de nos divergences.