L’édito de Pascal Martin dans le quotidien bruxellois « Le Soir » de ce 6 février (« L’éthique, levier de la reconquista catholique »), réagit à l’appel de l’archevêque Léonard (et ses 3 auxiliaires, ainsi que l’évêque de Liège) à une journée de jeûne et de prière – en vue d’éveiller les consciences par rapport à la future extension de la loi sur l’euthanasie aux mineurs d’âge. Après avoir reconnu que pour l’Eglise la vie est sacrée et que cette loi ne vise que quelques cas; que l’enjeu du débat est donc – avant tout – symbolique, l’éditorialiste aurait pu conclure: « Mais la conception de ce journal et de la majorité des élus du peuple, est que cela justifie une loi. Au nom de la démocratie, l’Eglise catholique a le droit de participer au débat public en faisant entendre une voix à contre-courant. Cela est sain et, ce faisant, elle est dans son rôle d’éveilleur spirituel. Mais c’est la majorité parlementaire qui fait les lois« . Face à pareil discours, je n’aurais eu rien à redire.
Au lieu de cela, l’édito s’ouvre sur un questionnement – « De quel pouvoir dispose encore l’Eglise dans la société belge ? » – maniant un présupposé que n’aurait pas renié un discours marxiste: tout débat d’idée est enjeu de pouvoir. La réponse est dévoilée un peu plus loin: « On aurait donc tort de croire que Mgr Léonard joue fatalement perdant. A long terme s’entend. Un peu partout en Europe, des forces conservatrices cherchent à reconquérir le terrain perdu en s’arc-boutant sur les questions éthiques. Le Parlement européen est ainsi le lieu de tous les lobbies religieux. Pour ces missionnaires, la conception d’un monde où l’homme garderait soigneusement Dieu en dehors de la gestion de la cité n’est pas de mise ».
Curieux renversement: C’est au nom d’une laïcité politique – qui, à juste titre, invite à gérer la cité des hommes au nom de la raison philosophique – qu’une nouvelle sacralisation apparaît: celle du « progrès ». Pour l’éditorialiste, il y aurait un sens à l’histoire allant du conservatisme (= pas bien) au progrès (= bien). Ceci lui permet de pointer ce qui va dans le sens du « progrès » (= bien), et quels combats politiques constituent un « retour en arrière » (= pas bien). Contradiction étonnante d’un libre-examen enfantant, ce qu’il convient d’appeler « un dogme du progrès ». Progrès qui va dans un seul sens – celui défendu par son auteur, bien entendu. Cette même contradiction explique l’étonnante affirmation du président du Centre d’Action Laïque (CAL), en p.3 du journal: « L’Eglise catholique porte une autre vision de la vie. C’est son droit. Mais ce n’est pas le sien de vouloir faire pression pour que sa conception soit imposée à tous ». En clair: quand le CAL appelle à manifester contre un projet de loi espagnol, il est dans son droit – car cela va dans le sens du « progrès » (= bien). De même, quand le CAL et l’Eglise catholique appellent ensemble à des critères de régularisation des sans-papiers, cela est justifié, car cela va également dans le « sens de l’histoire » (= bien). Mais quand l’Eglise invite à prier par rapport à une proposition de loi belge, il s’agit d’une intolérable ingérence – car cela constituerait un « retour en arrière conservateur » (= pas bien). Une liberté d’expression à géométrie variable, en quelque sorte.
La laïcité politique est fondée sur la raison. De ceci découlent deux principes fondateurs: 1. Chaque citoyen adulte et sain d’esprit, est un sujet raisonnable. Il doit donc pouvoir parler et être écouté. Ceci exclut du champ démocratique le totalitarisme sous toutes ses formes, car il n’offre voix au chapitre qu’à celui qui pense comme lui. 2. Les arguments politiques des citoyens doivent être audibles par tous, même et surtout de ceux qui ne partagent pas leurs convictions spirituelles. Le discours politique ne peut donc se fonder sur une révélation religieuse ou idéologie de l’histoire. Seuls des arguments de type philosophique sont recevables. Ceci exclut du champ démocratique tous les fondamentalismes, car ils évincent le raison du débat de conviction.
L’opposition de Mgr Léonard, et des autres évêques, à la proposition de loi sur l’euthanasie des mineurs, se fonde sur une vision philosophique de la vie humaine. Pourquoi refuser à un responsable catholique de participer de tout son poids à un enjeu de société aussi crucial – comme le CAL le fait, en sens inverse? Pareil déni de parole encourage les radicalisations dangereuses. J’entends, de plus en plus souvent, des voix en colère me dire que je suis bien naïf de continuer à dialoguer avec les libre-exaministes, car leur tolérance est à sens-unique. Je réponds que nombre d’entre eux reconnaissent aux catholiques un plein droit d’expression, au nom du principe voltairien: « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai pour vous laisser le dire ». Ai-je tort?