Ni Marx, ni Maurras – 29e dimanche, Année A

«Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.» (Matthieu 22, 21)

Une fois de plus, les ennemis de Jésus essaient de le piéger : « faut-il payer l’impôt à l’occupant ? » S’il dit « oui », il est un collabo. S’il dit « non », il est un fauteur de trouble. Le Christ ne tombe pas dans le panneau. Il répond : « je ne suis pas venu pour faire de la politique et me mesurer à César. Je suis venu de Dieu pour parler de son règne. Rendez donc à César ce qui est à César, mais – surtout – rendez à Dieu ce qui lui revient : ne réduisez pas son Evangile à un programme politique ».

L’Évangile se démarque de deux postures : il ne se désintéresse pas des questions sociopolitiques en se contentant d’enseigner la résignation aux pauvres – comme le pensait Marx (1818–1883). Non, l’Evangile n’est pas un « opium pour le peuple ». Au contraire, la Parole de Dieu réveille les cœurs et les consciences et elle invite le baptisé à s’engager pour un monde plus juste. Cependant, personne ne peut enfermer le Christ dans un programme politique, si généreux soit-il. C’était l’erreur du philosophe français Maurras (1868-1952) – pourtant lui-même agnostique. Il prônait que seul un système avec la religion catholique comme religion d’état, donnerait sa juste place à l’Église. Non, bien que devenu totalement homme, le Christ n’en vient pas moins de Dieu. Il dépasse donc toutes nos constructions humaines : « rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

Des chrétiens peuvent parfois se retrouver adversaires politiques, car ils proposent – chacun de bonne foi – des solutions différentes pour gérer la cité. Cela ne les empêche pas de se retrouver le dimanche, comme frères, pour écouter ensemble la Parole et communier au Christ dans son Eucharistie.

La noce boudée  – 28° dimanche, Année A

« Tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noce ». (Matthieu 22, 1-14)

Pour comprendre l’Evangile de ce dimanche, il s’agit de se rappeler qu’une « parabole » n’est pas une « allégorie ». Dans une allégorie, tous les éléments correspondent, sous forme codée, à la réalité décrite. Ici, il n’en est rien : ce roi colérique, qui massacre ceux qui ne viennent pas à la noce de son fils, n’est pas le Père du ciel.

Je le répète – une parabole n’est pas une allégorie. Elle se sert d’une anecdote de la vie courante (un semeur, un berger,…) pour faire passer un message. Dans ce cas-ci, Jésus part de la mésaventure d’un des roitelets de l’époque, dont les vassaux auraient boudé la noce (un des fils d’Hérode de grand ?), pour expliquer la logique du Royaume.

Le Royaume n’est pas une affaire de places réservées. Chacun y est convié, à la croisée des chemins. Une seule condition : Venir avec un vêtement de noce – c’est-à-dire avec un cœur accueillant et disponible.

Raisins amers – 27e dimanche, Année A

« Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : Ils respecteront mon fils » (Matthieu 21, 33-43)

 Dans la première lecture de ce dimanche, le prophète Isaïe reprend un vieux thème de la sagesse juive : un homme plante une vigne et s’en occupe patiemment. Hélas – les raisins de la récolte sont amers. De dépit, le vigneron se détourne du lopin de terre qu’il avait tant soigné. Et le prophète d’expliquer que cette vigne est le peuple hébreu qui attriste le Seigneur en ne respectant pas son alliance.

Dans l’évangile, Jésus reprend l’image à son compte et la radicalise. Le Fils de l’homme ne se fait plus d’illusions. Il sait que sa vie terrestre va bientôt finir. Pourtant, Il croit fermement que son Père ne l’abandonnera pas. Cela donne la parabole la plus autobiographique du Christ. La plus sombre aussi. Celle de vignerons qui refusent de rendre au propriétaire le fruit de sa vigne – et qui finissent même par assassiner son fils, afin de supprimer l’héritage.

Cependant, la conclusion cite une autre parole de l’écriture juive : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire ».  Tout en annonçant la croix, le Nazaréen pointe vers les lueurs de Pâques.

L’hypocrisie… – 26° dimanche, Année A

« Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » (Matthieu 21, 28-32)

L’hypocrisie est le vice… des personnes qui aiment la vertu. On ne dira jamais d’un gangster cynique qu’il est hypocrite. Parfois même, ce bandit peut surprendre par un élan du cœur ou une action généreuse. Par contre, les personnes qui cherchent à vivre selon un idéal, ont souvent du mal à y correspondre. Pour peu qu’elles ne sont pas lucides de cette faiblesse, une incohérence apparaîtra entre les beaux principes et la réalité vécue. C’est cela, l’hypocrisie.

Quand le Christ proclame : « les publicains et prostituée vous précèdent dans le Royaume de Dieu », il ne fait pas l’éloge de leur état de vie. Il rappelle à tous les bienpensants de la terre, qu’il est spirituellement vain de se juger moralement supérieur aux autres. Que tous, nous serons en effet jugés sur l’Amour. Et que – s’il rend lucide sur les actes – le propre de l’Amour est justement de ne pas juger les personnes.

La comptabilité de la Grâce – 25° dimanche, Année A

« Parce que personne ne nous a embauchés » (Mt 20, 1-16)

Vous connaissez le dicton: « Il faut bien gagner son paradis ». Comprenez : « A force de vertu, nous finirons bien par obtenir le ticket d’entrée au Ciel ». Eh bien non – dit le Christ. D’où la parabole des ouvriers de la 11° heure : ceux qui ont sué depuis l’aube, ne reçoivent pas un meilleur salaire que ceux qui n’ont travaillé qu’une heure.

Message de la parabole : Il n’y a pas de paradis à gagner. Il est offert. Tout est Grâce.  « C’est un peu facile » murmure le bon Belge, en ajoutant : « Dans ce cas, pourquoi faire des efforts ? ».

Enviables, les ouvriers de la dernière heure ? « Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ? » leur demande le maître de la vigne. « Parce que personne ne nous a embauchés », soupirent-ils. Ils ont perdu leur journée.

Alors, oui. Heureux les artisans de la première heure. Ceux qui triment pour le Christ sous la chaleur du soleil. Ils ne le font pas pour gagner un meilleur salaire. C’est le même salaire pour tous.

Si les parents aiment leur enfant – que celui-ci leur obéisse ou pas – combien plus le Père céleste nous aime-t-il inconditionnellement ? « Un peu facile » ? Non, c’est ce qu’il y a de plus exigeant : vivre – non pas en comptabilisant ses mérites – mais par pur amour.

Moed

Zo verklaart @torfsrik op ‘X’ (ex-twitter): ‘ Ik schreef het vandaag in De Morgen: als je vandaag iets positiefs zegt over het christelijk geloof en al zeker de katholieke kerk -ondanks haar vele fouten- ga je tegen de dominante tijdgeest in en oogst je zeker geen applaus. Maar applaus is even onbelangrijk als voorbijgaand.’
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Moed is de ‘churchilliaanse’ deugd om, tegen onze menselijke angsten in, op te durven komen voor wat men levensbelangrijk acht, wat de prijs ervan ook moge zijn. Zoals bv. mateloze kritiek.
Ik ben het niet altijd eens met professor Torfs.
Kerkelijk denk ik misschien wat klassieker. En politiek wat groener.
Maar ik bewonder zijn intelligentie en apprecieer zijn humor.
En meer nog, zijn vreugdevolle geloofsovertuiging.
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Maar vooral : Ik vind Rik Torfs een moedig man.
Hij kwam vroeger dikwijls op tegen bepaalde kerkelijke praktijken, vanwege een toen nog redelijk machtige kerkinstituut.
Hij werd dan ook fel vanuit bepaalde katholieke kringen bekritiseerd.
(Echter niet door Mgr Leonard, die graag met hem debatteerde, ondanks hun radicaal verschillende analyses op heel wat vlakken.) 
Nu neemt Torfs het op voor het christendom en – erger nog – zelfs voor de machteloos geworden katholieke Kerk.
Hij doet dit, zonder enigszins de zonden van haar leden en het walgelijk crimineel gedrag van zovele pedopriesters te minimaliseren.
Nu zijn het vele anderen die hem bekogelen.
En die hebben de maatschappelijke wind in hun zeilen.
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En hoe reageert Rik Torfs op kritiek, vooral wanneer de man wordt gespeeld en niet de bal?
Op een serene manier en met zelfspot, vaart hij zijn koers.
Dat noem ik moed.

« Jeu collectif » – 23° dimanche, Année A

« Si ton frère a commis un péché, va lui parler » (Mt 18, 15-20)

Si le christianisme était un sport, il serait un sport collectif. C’est ensemble que les baptisés vivent du Christ et non pas chacun dans son coin – jouant à qui sera le meilleur chrétien de la classe. Ainsi, la parole que Dieu adresse au prophète Ezéchiel (1° lecture) : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur ».

En ce début de XXIe siècle, les progrès de la société n’ont pas libéré l’homme de sa conscience. Les mêmes questions qu’à l’époque d’Ezéchiel résonnent dans les cœurs : « Quel est le sens de l’existence ? Comment réussir sa vie ? Quel est le secret du bonheur ? » Les disciples du Christ se doivent donc d’être des « guetteurs » – des femmes et hommes capables de saisir l’enjeu spirituel des choses, d’avertir des impasses, d’inviter à une « conversion » – c’est-à-dire à un retournement de perspective.

« Si ton frère a commis un péché, va lui parler », enseigne l’Evangile. Mais attention à la caricature. Sans l’Esprit, le « guetteur » devient vite une éternelle belle-mère, un insupportable donneur de leçons,…. Vous savez, ces braves personnes qui ont à la bouche en toute circonstance, une parole assassine du genre : « Je te l’avais bien dit… » D’où l’avertissement de saint Paul dans son épitre aux Romains (2° lecture) : « L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour ».

Soyons des guetteurs de l’amour. Mettons-nous à l’école de l’Esprit. En ce temps de rentrée scolaire, voilà bien une école ouverte tous les jours et à tous les âges. Une école de la réussite – où les baptisés restent élèves à vie.

« Qui perd gagne » – 22° dimanche, Année A

« Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de Moi la gardera ». (Matt 16, 21-27)

En ce temps de rentrée scolaire, il est bon d’inviter nos têtes blondes à viser l’excellence académique. En effet, tous nous avons reçu une intelligence du Créateur. Il s’agit donc de la développer – chacun à notre mesure – afin de prendre notre place dans la société. Mais, malheur à nous, si nous enseignons à nos gosses que dans la vie, le but est de « gagner » – et tant pis pour les autres. Celui qui transmet cela, éduque son enfant à devenir un éternel envieux. Et l’envie – tel un feu – lui consumera le cœur et brûlera tous ceux qui s’approchent. Tel est l’antique sagesse que Christ rappelle : Ce qui a le plus de prix dans la vie d’un homme – l’amour, l’amitié, l’honneur, le bonheur, le respect,… – ne s’achète pas. C’est gratuit. Cela n’a donc pas de prix. Et pour le recevoir, il faut donner – se donner. En amour – qui perd, gagne. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de Moi la gardera ».

Tolkien, le théologien

En ce jour du 50 e anniversaire du décès de John RR Tolkien (1892-1973),  j’aimerais partager ce témoignage: j’ai lu la trilogie des « compagnons de l’anneau » bien avant la sortie des films. Je les ai dévorés et j’étais fasciné par la dimension théologique de l’ouvrage. Je pensais qu’il s’agissait d’une projection de ma part d’y voir un message chrétien, avant de me renseigner et d’apprendre qu’il en était bien ainsi. Tolkien était un catholique fervent, qui ne fit pas mystère de la visée religieuse de son roman.
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Selon moi, « les compagnons de l’anneau » est une des oeuvres théologiques les plus importantes du XXe siècle :
L’Anneau du pouvoir absolu a été retrouvé. Fabriqué quelques millénaires plus tôt par Sauron, maître des ténèbres, il lui assura la domination sur toute créature, jusqu’au jour où le roi Isildur réussit à le lui arracher du doigt. Mais les hommes sont faibles et le roi succomba aux charmes de l’Anneau. Au lieu de le détruire dans les gorges de la montagne de feu, il voulut le garder pour lui et périt dans une embuscade tendue par son entourage, qui convoitait un tel trésor. Lors de l’attaque, l’Anneau tomba dans les eaux profondes d’un fleuve et disparut. Il se fit oublier. Le monde en perdit la mémoire et – privé de tout pouvoir – le maître des ténèbres, lui-même, devint une légende. 
Un beau jour pourtant, l’Anneau fut retrouvé par hasard et sa présence maléfique réveilla l’œil noir de Sauron. Fort heureusement, le bijou était tombé entre les mains d’une créature naturellement dépourvue d’ambition, un hobbit, sorte de demi-homme aux mœurs  agraires.
C’est ainsi que le jeune hobbit Frodo se retrouva porteur de l’anneau, escorté pour sa sécurité par l’élite des guerriers – elfes, sorciers, hommes et nains – ceux qu’on appelle « les compagnons de l’anneau ». Au sein de ce groupe, l’orage gronde en permanence, car l’Anneau attise les convoitises. La tentation est grande pour ces hommes valeureux de s’emparer de cette arme de domination, afin de vaincre Sauron une fois pour toute.
La sagesse du sorcier Gandalf démasque un tel piège. Si une créature de lumière devenait à son tour Seigneur de l’Anneau, ce serait une calamité plus grande encore que la victoire finale de Sauron. En effet, cela signifierait que le Bien s’est laissé corrompre par l’Anneau du pouvoir. Un Seigneur de lumière serait un tyran bien plus à craindre que le maître des ténèbres, car il imposerait la vertu par la force. Avec lui, le Bien deviendrait esclave du pouvoir et sous le masque de la Vertu, c’est l’Anneau qui se soumettrait jusqu’aux forces de lumières.
Non – clame Gandalf – l’Anneau doit être détruit. De par l’humilité de sa condition naturelle et grâce à la pureté de ses intentions, seul Frodo le Hobbit peut en avoir la garde, sans être totalement dévoré par son pouvoir de séduction. Il devra se rendre aux gorges de la montagne de feu, situées au cœur même du royaume de Sauron, afin d’y détruire l’Anneau. Frodo accepte cette folie, bien conscient que la magie noire du bijou maudit est néanmoins en train de le corrompre et que, en acceptant sa mission, il marche vers le sacrifice…    
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Par son conte fantastique, Tolkien dévoile le cœur de l’épopée chrétienne : l’Anneau du pouvoir ne peut être que détruit. Aucun saint et pas même Dieu ne peuvent s’en emparer pour guérir notre monde du pouvoir des ténèbres. Si le Bien se mettait à combattre le Mal avec les armes de ce dernier, il se renierait. Même victorieux, il aurait tout perdu, car la victoire du Bien ne serait que le masque cachant le triomphe définitif du Mal.
Oui, l’Anneau du pouvoir ne peut être que détruit. Un dieu qui combattrait le Mal avec les armes du pouvoir, tomberait dans un piège diabolique. Il emporterait évidemment la victoire (qui donc peut résister à Dieu ?), mais le ferait en s’inféodant à la logique perverse de l’Adversaire. Ecrasé, l’esprit d’injustice et de mensonge serait définitivement vainqueur, car il aurait parasité le cœur même de Celui qui seul est Saint. Ce serait là une sorte d’anti-rédemption, œuvre d’un antéchrist.
Mais non ! Dieu est Dieu. L’épopée chrétienne révèle un Dieu qui prend le Mal à son propre piège. Le Dieu des chrétiens assume l’humble condition charnelle, car seulement ainsi peut-il détruire l’Anneau du pouvoir. Il marche les mains nues à la rencontre des Ténèbres, afin que celles-ci se saisissent de lui et l’étouffent de leur noire pesanteur. Il se laisse anéantir par elles – mais non pas corrompre – et plante de la sorte l’Amour au cœur du Mal, la Lumière au cœur des Ténèbres.