Avortement: amas de cellules et déni

Dans le quotidien « La Libre » de ce jour, je lis en p.38 une position favorable à ce que l’avortement soit retiré du code pénal. Et ceci, de la bouche d’une professeure psychanalyste de l’UCL. Ses raisons? Je la cite: «  On ne peut pas comparer un enfant qui vit avec un amas de cellules qui a six semaines. Il faut faire appel au bon sens et non à l’idéologie qui s’exprime à travers la pénalisation en tant que telle. » 
Volontairement, je ne rentre pas dans le débat sur « avortement et droit pénal » (je l’ai déjà suffisamment fait), mais je m’arrête à la position intellectuelle de ce qui vient d’être énoncé.
D’abord, il n’y a pas plus idéologique que de disqualifier la position adverse d’ «  idéologique » et la sienne de « bon sens ». Quelque part, cela me fait penser aux populistes qui disent qu’on ne peut comparer la dignité humaine des migrants avec celle des vrais citoyens…. « Une question de bon sens, n’est-ce pas? »
Ensuite, ce que j’attends, c’est une argumentation en fait et en droit. En fait, à six semaines, il n’y a – de fait – pas un enfant. Mais il n’y a – de fait aussi – pas non plus, un « amas de cellules ». L’embryon est une vie humaine en devenir. En droit, la question « bête, banale et brutale » est: à partir de quand cette vie humaine en devenir est-elle inviolable? Et si ce n’est pas dès la conception, sur quelle base fixer telle limite ou telle autre ?
L’éditorial du jour de Dorian de Meeus, le rédacteur-en-chef du quotidien, publié en p.56 du journal, ne dit pas autre chose: «  Au fond, le vrai débat porte donc sur la place que le législateur attribuera à l’être humain en devenir, que ce soit 1 mois, 3 mois ou 7 mois après la conception. Mais se posera aussi la question des sanctions adaptées et proportionnées en cas de non-respect de la législation. Notre société doit s’interroger sur ce qu’elle estime être la marche du progrès. Alors qu’on planche par ailleurs aujourd’hui sur les droits des animaux, des plantes ou même des objets comme les robots, elle éprouve de grandes difficultés à considérer comme progressiste la protection de la pré-enfance. »  
Je n’ai rien à ajouter, si ce n’est qu’à mon avis, cette « grande difficulté » par rapport à la protection de la pré-enfance, est due à un déni, qui empêche de clarifier l’enjeu du débat: le refus justement de voir en l’embryon humain, autre chose qu’un « amas de cellules ». Pourquoi pareil déni? Poser la question, c’est y répondre. Ce n’est pas à une psychanalyste que je dois l’apprendre.

22 réflexions sur « Avortement: amas de cellules et déni »

  1. Le mot idéologie porte en général très peu d’information. Il suffit de le remplacer systématiquement par « conviction que je ne partage pas » en lisant et rien n’a changé.

    Etre professeur en psychanalyse n’est pas vraiment plus scientifique que d’être professeur en astrologie ou en homéopathie. Ce n’est plus qu’en France, et par extension en Belgique, qu’on les prend au sérieux. (Avec entre autre des conséquences néfastes au niveau du traitement de l’autisme par ces quacks.)

    La question de quand commence une vie humaine n’est pas pertinente pour la question de l’avortement. Prenons un enfant de 8 ans. Ici tout le monde est d’acord que c’est une vie humaine. Tout de même on ne va pas forcer ses parents à sauver sa vie au moyen d’un don d’organes. Pas de raison donc de forcer une femme à continuer une grosesse peu importe s’il s’agit d’une vie humaine ou non.

    1. Bonjour. Pourriez vous développer votre argument? Je ne parviens pas à comprendre ce que vous voulez dire. Cordialement

      1. Nous sommes tous d’accord qu’un enfant de 8 ans est une vie humaine. Tout de même, nous valorisons l’autonomie corporelle de ses parents au dessus de la survie d’un tel enfant. Si ce n’était pas le cas, nous forcerions les parents, avec violence physique s’il le faut, à donner leurs organes pour sauver leurs enfants en cas de besoin. Etant donné que nous n’entravons pas l’autonomie corporelle dans ce cas là, il n’y a pas de raison de le faire dans le cas d’une grossesse ou il n’y aura pas non plus de bébé viable à moins qu’on force la mère de rendre son corps à disposition pour y parvenir. Avoir un droit à la vie n’implique pas un droit de disposer du corps d’autrui pour sauver cette vie. Rajouter que ce bébé serait une vie sainte et dieudonnée ne change rien à mon argument non plus. Tout superlatif de valeur qu’on accorde à cette vie de bébé s’accorde aussi aux parents.

        Si c’était par rapport aux psychanalystes, Karl Popper les a mentionné comme l’exemple phare d’une assertion non falsifiable quand il a développé son épistémologie scientifique basé sur la falsifiabilité.

        1. Je trouve que le débat sur l’avortement mérite mieux que cet argumentaire. La détresse de la mère qui choisi l’avortement (et par extension le fait que la société nie l’humanité de l’embryon) n’est pas lié au simple fait que l’enfant à naître soit physiquement dépendant du corps de sa mère pendant 9 mois (la plupart des femmes qui avortent ont été ou seront enceintes au cours de leur vie). Cette détresse provient en réalité de l’arrivée d’un enfant non prévu qui vient bousculer le projet de vie de celle qui le porte (détresse que je trouve très compréhensible soit dit en passant).

          Posons le problème sous un autre angle. Un enfant à naître est, par nature (biologiquement si vous préférez), dépendant de sa mère pour survivre. Au même titre, un enfant de 8 ans est dépendant de l’air qu’il respire ou de la nourriture qu’il mange. Peut-on autoriser ses parents à le priver des éléments nécessaires à sa survie ?

          1. Votre premier paragraphe n’est en rien lié à l’argument qui reste donc intouché.

            Pour le deuxième paragraphe: Oui, on ne force pas les parents de s’occuper d’un enfant quand ils ne le veulent pas. La différence avec la grossesse est que ici, l’enfant peut survivre quand quelqu’un d’autre s’en occupe et que l’autonomie corporelle des parents reste intacte. S’il y avait une telle solution moins invasive pendant la grossesse, on la prendra. Malheureusement, l’avortement est la solution la moins invasive disponible pour garantir l’autonomie corporelle de la mère, mais on va quand même garantir cette autonomie corporelle au moyen d’un avortement donc. (A l’exception des grossesses après 30 semaines ou la césarienne est le moyen le moins invasif et où l’avortement n’est donc plus nécessaire.)

    2. La question n’est pas de forcer une femme à ne pas tuer son enfant, mais de savoir ce que fait l’état (nous). Est-ce qu’il est plus légitime pour nous d’organiser et financer la mise à mort d’enfants « non-désiré », ou bien de trouver des solutions d’écouter, d’accueil et de soutien à la mère et à son enfant ?

      Pour ma part, j’ai été très sensibilisé aux arguments progressistes contre la peine de mort, en faveur de la dignité humaine, du développement des soins de santé et du soucis des personnes en situation de précarité.

        1. La question ne devrait-elle pas être « comment ne pas être enceinte lorsqu’on ne le veut pas » !

  2. Bonjour Eric,
    J’ai un problème avec les mots « vie humaine en devenir ». L’embryon humain vit-il? Est-il humain? Si la réponse est deux fois positive, ce n’est pas « vie humaine en devenir » mais « vie humaine » tout court qu’il faut dire, non? Et tout s’éclaircit: nous sommes devant un être humain, un individu humain unique, qui mérite protection et dont personne n’a le droit de décider de la nature humaine ou non selon tel ou tel critère.

    1. Lorsque future maman, j’entendais lors d’un examen, les battements de coeur de mon bébé, je ne me posais pas la question et je me disais « il (ou elle) est là » et c’est mon enfant ! « 

  3. Cher Eric,

    Merci pour ton analyse toujours aussi perspicace.
    Outre la gravité de la dérive dont témoigne l’article en question sur le plan de la bioéthique, ce dernier m’interpelle à trois égards au moins :
    – celui de la communication qui, comme tu le soulignes également, se limite trop souvent à la présentation de points de vue polarisés, voire caricaturaux, sans aller jusqu’à rencontrer les exigences élémentaires de la démocratie « délibérative » à laquelle, je suppose et j’espère, nous restons tous attachés…
    – celui de l’identité de l’UCL, qui se voit associée à une position en contradiction totale avec les valeurs dont elle se réclame
    – celui de la psychanalyse, qui se voit ainsi prêter un flanc considérable à ses détracteurs.
    J’espère néanmoins que le débat politique pourra sortir grandi de telles outrances, s’il réussit à en prendre la mesure…
    Bien à toi

    Patrick

    1. Sur le point de l’UCL, il faut voir que la personne interviewé s’exprime à titre personnel et non au nom de l’université. Cette dernière n’a d’ailleurs pas à limiter la liberté d’expression de ses membres ce qui est extrêmement positif en soi. La divergence d’opinions au sein d’une université doit être cultivée car elle est fructueuse. Quand bien même on n’adhère pas personnellement…

      1. La divergence d’opinions au sein de l’UCL n’a pas toujours été acceptée . Le professeur Stéphane Mercier qui considérait l’avortement comme un meurtre a été  » remercié  » par cette université qui considérait que les propos de ce professeur étaient en contradiction avec les valeurs qu’elle défend.
        J’en conclus donc que l’UCL défend l’avortement

        1. Vous sautez vite en conclusions.
          Ce qui a été reproché au Prof. Mercier est d’avoir tenu un cours de philosophie partisan (ce qui reste à démontrer selon moi). Dans le cadre de son cours donc. Il s’était déjà exprimé plusieurs fois publiquement et en dehors de ses fonctions sur le sujet avant cet événement sans mise au ban de la part de l’université.
          Néanmoins on peut dire que la communication de l’université à propos du Prof. Mercier eut pu être meilleure. Quand à la position « officielle » de l’université, c’est peu clair effectivement.

  4. Étant personnellement et douloureusement touchee par la question de l’avortement, je rejoins parfaitement la réflexion de M. Ernst. Suite à la naissance et au décès de notre bébé, atteint d’une maladie génétique incurable, nous avons appris qu’ à chaque grossesse, notre enfant a un risque sur 4 d’etre condamné à mourir dans les 6 mois de sa naissance ( notre bébé à vécu 15 jours). La maladie est détectable à min 12 semaines d’aménorrhée. A priori, l’avortement n’était pas une option pour moi. Je comprends et respecte ce choix  » pour d’autres » mais il paraissait inenvisageable pour moi-même. Il ne s’agit pas d’une conviction religieuse mais de l’expression du coeur d’une maman.
    Et pourtant, si je suis confrontée à ce choix ( mais est ce réellement un choix, quand on doit choisir entre la mort… Ou la mort?), je pense que je me resoudrai à dire au revoir à mon bébé avant sa naissance. Il ne s’agit pas de se débarrasser d’un « amas de cellules ». Il s’agira de ne pas imposer à ma fille de 4 ans d’assister, une seconde fois, à l’agonie de son petit frère. Il s’agira aussi de libérer dignement mon bébé d’une vie trop lourde à porter et de lui épargner une agonie douloureuse. La question de l’avortement – a fortiori pour raisons médicales- ou de l’euthanasie, n’appartient selon moi ni aux médecins, ni aux juristes, ni aux religeux. Elle appartient aux bébés et à leurs parents. Mais il est nécessaire, c’est vrai, que des médecins, des juristes et des conseillers moraux ou religieux soient disponibles pour éclairer et soutenir les parents dans leur décision.

    1. Votre témoignage me touche profondément. Votre cas est un exemple de ceux pour lesquels j’estime que l’avortement peut être considéré … avec toutes les réserves évoquées car ce n’est jamais un geste anodin mais un choix très douloureux !

      1. Merci Madame. Mais je souhaite insister aussi sur le fait qu’il ne faut pas non plus tomber dans le travers inverse. Face à notre situation, les médecins ( tout ceux que nous avons rencontré jusqu’ici en tout cas) et la plupart de nos proches ne peuvent même pas envisager qu’on puisse faire le choix, en connaissance de cause, de garder notre bébé. Certaines personnes se permettent même de qualifier ce choix d’égoïste. Alors que d’un côté, certaines personnes, étrangères à la cause, se permettent d’interdire, pour d’autres, l’avortement parfois même dans des circonstances très difficiles, d’autres se permettent de  » moramement » l’imposer.
        Cette question touche aussi à notre capacité à accepter l’autre dans sa différence. Face à la mort de notre bébé, je ne compte plus les  » c’est mieux comme cela ». Bien sûr, je ne souhaitais pas à mon bébé de vivre de longues années dans les conditions qui étaient les siennes. Mais je souhaite quand même rappeler que le monde appartient aussi aux personnes différentes, handicapées, malades mentales ou autres. La mort de mon bébé reste une tragédie, malgré son état et il me manque beaucoup. Je me réjouis tous les jours qu’on n’ait pas pu détecter sa maladie durant ma grossesse car cela m’a permis de ne pas devoir me poser la douloureuse question de l’avortement et surtout de le connaître un peu, de lui apporter de l’amour et de l’accompagner jusqu’au bout. Si j’étais seule à en assumer le choix et plus jeune, je garderais mon enfant malade, pour l’accompagner jusqu’au bout et je suis persuadée que ce choix sera moins douloureux pour moi. Mais il faut tenir compte de l’ensemble des éléments, et des personnes concernées. Avorter ne doit pas non plus se faire dans la précipitation, en niant l’existence de ce bébé. J’aimerais si cela doit arriver, prendre le temps de vivre cette grossesse, apporter autant de douceur que possible à mon bébé. Si je trouve un prêtre suffisamment ouvert sur la question, j’aimerais qu’il bénisse mon bébé, sinon, je le confierai à Dieu moi-meme. J’expliquerai ma décision à mon bebe et nous organiserons un rituel pour lui dire au revoir, respectueusement et avec amour.

        1. Chère Anne, je vous comprends d’autant mieux que j’ai été maman d’un jeune homme handicapé qui nous a quittés il y a vingt ans et le temps ne change rien à l’affaire, le chagrin demeure (je dois préciser que son décès n’est pas lié directement à son handicap).

          Ce que je veux dire c’est que j’ai reçu des commentaires du genre « c’est mieux comme ça », « quel avenir avait-il de toutes façons » et ces phrases – censées me réconformer – m’ont blessée douloureusement, comme si mon amour maternel n’était pas le même que pour enfant dit « normal ». J’ai aussi entendu « mais comment est-ce encore possible de nos jours », ce qui me renvoyait à une sorte refus implicite d’avorter, alors même que les handicaps ne sont pas tous détectables in utero, en tout cas pas l’autisme ! Je n’ai donc pas été confrontée à ce choix.

          « le confier à Dieu moi-même », je vous comprends d’autant mieux que dans les premiers jours suivant la naissance j’ai cru le perdre; je l’ai déjà confié à Dieu à ce moment-là …

          En tout cas, la question primordiale que je me posais était « que deviendra-t-il après moi » ? A qui le confier et est-ce le rôle des frères et soeurs, eux même parents, d’assumer cette charge très lourde ?

          Mais il est parti avant moi …

          1. Chère Marie -Madeleine,

            Si vous le souhaitez, continuons nos échanges de manière privée. Voici une adresse où vous pouvez m’écrire, si vous le souhaitez : suricate293@hotmail.com. Je serais heureuse et honorée que vous me parliez librement de votre fils.
            Bien à vous

    2. Merci pour votre commentaire, il rejoint parfaitement ma vision de la situation. Dans votre cas, je pense que personne ne niera que les raisons médicales peuvent être invoquées, en plus. C’est avant tout la question des parents (plus que de la mère seule, quand les deux parents sont réellement impliqués dans la grossesse), et de l’enfant… en devenir…

      Par ailleurs il reste une réalité, l’avortement est encore considéré comme un crime dans le code pénal, doit-il y rester ? Là, l’état doit intervenir, il n’a pas le choix… Doit-on considérer l’IVG (l’IVG, l’interruption volontaire de grossesse, pas l’avortement qui peut avoir des raisons médicales) comme un acte banal, qui peut se faire sans problème jusqu’à la date de la naissance, au nom du droit de l’être humain (la femme en l’occurence) à disposer de son corps ? Doit-on créer des situations de détresse intolérable chez les parents, la maman au nom du côté inviolable de la vie au lendemain de la conception?

      Les deux cas sont caricaturaux mais entrent dans la conception des intégristes anti ou pro avortement et laissent bien peu de place à la liberté… de la mère et de l’enfant…

      Ayant un peu regardé les projets déposés, je pense, comme la député Catherine Fonck, qu’il faut sortir le problème de l’IVG du code pénal, qu’il faut faire une loi non pénale, maintenir des balises, prévoir des sanctions si celles-ci ne sont pas respectées, comme cela a été fait pour l’euthanasie. Où mette ces balises ? C’est toute le difficulté auxquelles est soumis chaque député en fonction de ses convictions, qu’elles soient religieuses ou pas !

  5. Merci Anne, merci Marie-Madeleine, grâce à vos commentaires nous sommes soudain immergés dans la vraie vie. Nous en avons bien besoin….
    Que votre dialogue puisse se poursuivre de coeur à coeur me paraitrait une très grande grâce….
    Que l’ Esprit Saint enveloppe vos coeurs de mères.

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