5 réflexions sur « L’humble sagesse du feu orange – La Libre 21 octobre p.53 »

  1. @ EDB : j’ai bien aimé votre métaphore du signal « orange » : au fond, cette zone grise, entre deux couleurs tranchées Vert/Rouge, Blanc/Noir …
    Votre conclusion, je la partage : c’est le rôle de l’Eglise de mettre les balises…C’est le rôle des chrétiens (qu’ils soient clercs ou laïcs) d’accompagner la souffrance, l’homme dans sa condition, concrètement (en cela l’abbé Ringlet est exemplaire)…laissant le jugement à Celui qui sait tout : Dieu. Il est vrai que cette « schizophrénie » est difficile a accepter pour le mouvement laïc…
    PS : Dans ce cadre, j’ai difficile à interpréter les paroles de l’Evangile : « ce que vous remettez sur la terre, sera remis dans le ciel »…mais je ne suis pas théologien.

  2. Avec tout mon respect filial, je dois vous avouer que je n’ai pas trouvé cela votre meilleure chronique mon père. Je comprends votre intention d’apporter de la nuance dans un débat qui en manque, mais en l’occurrence, vous oubliez de dire que dès lors que l’intention est de donner la mort, la ligne est pour le coup très claire et il n’est pas question d’autre chose qu’un feu rouge. Or, on pourrait lire votre chronique comme une justification d’actes euthanasiques issus du colloque singulier et qu’il faudrait entourer du manteau de la bienveillance. Ce n’est sans doute pas ce que vous voulez dire (je suppose que votre point est plutôt qu’il n’est pas forcément nécessaire de mettre en coupe réglée la fin de vie et traîner en cours d’assisses tout médecin coupable de mort suspecte), mais cela me semble une interprétation possible de votre texte qui n’est atténuée que partiellement par votre phrase de conclusion. J’ai donc l’impression que votre louable volonté de chercher le centre vous joue un mauvais tour cette fois-ci.

    N’oubliez pas non plus que nous sommes dans un contexte où les lobbys pro-euthanasie amènent sciemment la confusion sur la fin de vie, mais aussi que nous sommes au moment du procès Bonnemaison en France. Votre billet, même si je suis convaincu que ce n’est pas son but, pourrait être aussi lu comme contenant une intention en lien ce contexte, ce qui pourrait laisser aussi une impression désagréable à certains (sans doute injustifiée, mais je crois compréhensible).

    (Et pour ne pas écrire que des critiques, je me permets de vous remercier pour un petit fasicule de votre plume sur l’Amour et les relations que je viens de redécouvrir et de conseiller à un jeune que j’accompagne : concis, accessible, clair et parlant pour tous, du père Eric comme on l’aime!)

    1. Merci Joseph de réagir sur mon blog! Tu es le premier à le faire. Non, je ne pensais nullement au procès français – dont je ne sais rien. Je ne cherche pas à jouer le centre, mais à défendre de fortes convictions avec… nuances. C’est cela qui passe mal chez d’aucuns, mais je ne changerai pas – car c’est, selon moi, le sens du « Heureux les doux… ».
      Voici ce que j’ai écrit à Paul Forget, qui très élégamment me demandait ce que je pensais de la loi de dépénalisation, sur un autre forum où d’autres ont allumé mon bucher:
      « Ceux qui prennent la peine de relire ce billet dans l’ensemble de ce que j’ai écrit et publié (aussi pour les évêques) sur la question, connaissant la réponse: je suis et j’ai toujours été opposé à une loi de dépénalisation de l’euthanasie. Je pense l’avoir assez dit et écrit et défendu en public. Et je le ferai encore. Je ne suis pas du genre girouette. Mais je suis également pour que l’on laisse le médecin gérer l’accompagnement en fin de vie avec son patient – dans les balises de l’acceptable. Donc, même si je ne demanderai jamais que l’on abrège une vie, car c’est totalement contraire à mon éthique chrétienne, je ne pense pas qu’il faille traiter d’homicide un médecin qui, dans son accompagnement, raccourcit d’une semaine un patient en fin de vie… Patient qui serait mort depuis longtemps sans la médecine. La « zone grise » est dangereuse et il faut des balises éthiques claires, mais je n’aime pas une société tatillonne, qui ne fait pas confiance. Il n’empêche que – oui – j’ai rencontré à ma grande surprise de nombreux médecins croyants convaincus qui soutiennent désormais la loi de dépénalisation, après l’avoir combattue. Je suis en désaccord avec eux, et je le leur dis. Mais je tenais à être vrai dans ce billet et écrire ce que j’avais constaté. Je pensais naïvement ne pas avoir à rappeler ma position sur la question. C’était oublier que nous vivons dans une société à la mémoire courte et où chacun campe – vent debout – sur ses convictions. Cela qui laisse place à l’avis de l’autre, passe pour un traitre ou pire un « relativiste ». Pourquoi ces médecins approuvent la loi? Parce que elle les rassure dans une société où on n’ose plus faire un pas, sans avoir un droit. D’où ma réaction: au lieu de légaliser sur la transgression, faisons un peu confiance à ceux qui accompagnent médicalement. Rassurons les soignants qui entrent dans la « zone grise », plutôt que de les entourer du soupçon… ce à quoi ils répondent en réclamant une loi – avec les dérives que l’on connaît. »

      1. Bonjour mon père,

        Je vous remercie de votre réponse. Votre opposition à l’euthanasie ne fait aucun doute (en tout cas dans mon chef). Cependant je pense malgré tout rester en désaccord avec vous sur un point. Sans en écrire des tonnes sur le sujet (et je dois dire que je suis dans les grandes lignes d’accord avec le propos de Xavier Dijon), je ne suis pas sûr qu’il existe réellement une zone grise. Par contre, il est indéniable que son existence est utilisée pour justifier tout et n’importe quoi.

        Vous savez peut-être que mon épouse travaille comme médecin auprès de personnes âgées et souvent en fin de vie, et pour elle, la ligne rouge est très claire : l’intention de donner la mort fait toute la différence. Ce n’est pas une distinction casuistique chrétienne, puisqu’elle est décrite en long et en large dans les séminaires de soins palliatifs. En ce sens, je crois que c’est le postulat même de l’existence de la zone grise qui est gênant. Car si elle existe, cette zone est fort ténue.

        Pour être tout à fait honnête, j’y ai moi-même réfléchi longuement. Or, je n’ai pas pu m’imaginer un seul cas qu’on pourrait y classer, même de loin. Par contre, postuler son existence possède des conséquences très gênantes, dont celles de potentiellement donner son blanc seing à tout et n’importe quoi (ou au minimum – puisque j’ai bien compris que ce n’était pas votre intention – créer des conditions permettant plus facilement que cela se produise). Quand des médecins utilisent la sédation palliative comme substrat à l’euthanasie pour répondre à de demandes qui n’entre pas dans le champ de la loi, quand d’autres augmentent sans raison d’inconfort des doses de médicaments, quand d’autres maquillent leurs euthanasies pour s’éviter de la paperasse, c’est bien de feu rouge qu’il est question. Or, même s’il s’agit parfoir de situations et des pressions sociales et émotionelles face auxquelles ils n’étaient de toute évidence pas suffisamment armés, tous invoqueront des notions plus ou moins floues de frontières ténues et de situations inclassables, même quand ce n’est à l’évidence pas le cas. (Mon épouse ayant elle-même observé ce genre de cas, ose d’ailleurs être beaucoup plus incisive que je ne le suis moi-même comme non-médecin).

        Tout en vous remerciant donc pour vos précisions sur la forme du billet et les inévitable incompréhensions que génére toute communication humaine engagée (telle que la vôtre, parole que j’apprécie beaucoup en règle générale), j’avoue conserver ce désaccord sur le fond.

        Bien cordialement,

        Joseph

  3. Le P.Xavier Dijon m’a fraternellement envoyé le courrier suivant – n’arrivant pas à le poster sur mon blog (mystère de la technologie). Je le reproduits donc, en y répondant ensuite. Merci à lui de participer à ce blog – telle est l’esprit de synodalité que notre Pape recommande dans l’Eglise. EdB

    Cher Eric,
    Par l’image du feu orange que tu emploies dans ta chronique (LLB 21/10/2015), tu veux rendre compte de l’entre-deux qui sépare, d’un côté, l’interdiction de tuer, de l’autre, le colloque singulier noué entre le médecin et son patient en fin de vie. Cette image illustre bien la complexité du débat qui concerne l’euthanasie aujourd’hui, mais on peut se demander si elle éclaircit la question : n’induit-elle pas plutôt une confusion des plans, alors même que tu tiens à rappeler nettement l’interdiction de principe de l’euthanasie ?
    Dans la comparaison employée, le feu rouge signifie l’interdiction de tuer. L’image est claire : devant la perspective de donner la mort, on s’arrête. Que représente alors le feu vert ? Tu ne donnes pas explicitement la transposition de cette balise-là, mais nul doute qu’il s’agit de la vie : puisqu’il s’agit de vivre, on peut passer, on passe, on vit ! Or s’il est vrai que, dans la comparaison employée, le rouge et le vert renvoient respectivement à la mort et à la vie, alors une conclusion s’impose : il n’y a pas de feu orange ! Car il n’y a pas de zone intermédiaire entre la mort et la vie. Tant qu’une personne n’est pas morte, elle vit. Telle est la force incroyable de la vie, et le tranchant de la mort. L’éthique s’ensuit : on n’arrête jamais la vie par un geste de mort !
    Pourquoi alors parler de feu orange ? Lorsque tu en parles, tu mobilises ici deux considérations qui concernent, l’une, la médecine (sur la zone grise des soins palliatifs), l’autre, le droit (à propos des procureurs qui s’abstiennent, sauf abus, de poursuivre les actes médicaux ultimes). Mais, dans un cas comme dans l’autre, remarquons-le, aucune transgression éthique ne s’impose.
    A cet égard, tu utilises une image qui ne suppose non plus aucune infraction. Le code de la route a, en effet, sagement prévu le franchissement du signal orange par le conducteur qui s’en trouve si près qu’il ne peut plus s’arrêter dans des conditions de sécurité suffisante. Ce faisant, le code ne dépénalise pas une quelconque transgression juridique ; il se contente de concilier la double exigence de stopper, un moment, la circulation dans un sens, et d’empêcher que l’arrêt brusque d’un véhicule compromette la sécurité des usagers. Or si, dans le cas du feu orange, le conducteur ne commet aucune infraction, même s’il franchit matériellement le signal, que devient la comparaison appliquée aux deux domaines que tu cites ?
    La zone grise évoquée concerne sans doute le bon dosage des produits qui calmeront les souffrances, car il est vrai que l’administration d’un analgésique emporte le risque de hâter la mort du patient. Or dans cette hypothèse également, tous les feux continuent à jouer leur rôle : le rouge, pour signifier qu’on ne peut pas tuer (le praticien ne peut donc pas surdoser la morphine avec l’intention de donner la mort) ; le vert, pour dire qu’il ne faut pas s’arrêter d’accompagner la vie ; quant au feu orange, il permet d’atténuer les souffrances du vivant, même au risque de hâter sa mort. Mais, pas plus que dans le franchissement du feu orange, il n’y a, ici, de transgression éthique puisque l’acte, bien proportionné pour n’être pas homicide, est justifié par l’obligation de soulager la douleur.
    Quant à la décision du ministère public de ne pas intervenir dans les actes posés en fin de vie alors même que l’un ou l’autre de ces actes pourrait être qualifié d’homicide, elle ne se laisse pas comparer terme à terme à l’hypothèse du signal orange puisque, dans ce dernier cas, nous l’avons vu, il n’y a pas d’infraction. Mais elle impose un rappel de la différence entre le droit et la morale.
    Sachant que les parquets, largement maîtres de la politique répressive, apprécient l’opportunité des poursuites, on peut comprendre qu’un procureur du Roi ne tienne pas (sauf cas abusifs), à dépenser une énergie démesurée dans l’investigation de la zone grise évoquée plus haut, pour y rassembler et peser les indices d’un éventuel homicide, alors qu’il est requis par tant d’autres infractions graves, depuis le meurtre jusqu’à la traite des humains en passant par le vol à main armée ou le blanchiment d’argent terroriste. Il n’empêche que cette appréciation personnelle du magistrat ne crée aucune licence sur le plan éthique. L’interdiction de l’homicide continue toujours à s’imposer comme un stop au geste de mort.
    En conclusion, le colloque singulier que tu prônes entre le médecin et le patient est certainement recommandable pour humaniser toute fin de vie, mais il n’autorise pas à croire que seraient brouillés les repères éthiques qui balisent la route, ainsi d’ailleurs que tu le rappelles toi-même : ne pas donner la mort, soulager, accompagner… Tu parles de l’humble sagesse du feu orange. Pour moi, les dosages de morphine peuvent se discuter en médecine, comme les jugements d’opportunité, en droit ; mais entre la vie et la mort comme entre le bien et le mal, il n’y a pas de place pour un quelconque feu orange. Il n’y a que l’humble éthique du rouge de la mort et du vert de la vie.
    Amicalement, Xavier Dijon, S.J., prof. ém. Univ. Namur

    Cher Xavier,
    Il n’a jamais été dans mon intention d’écrire que du point de vue moral chrétien, il existait un « feu orange » à euthanasier. Je soulignais simplement que dans la vie concrète, les médecins prenaient des décisions difficiles et parfois dans l’urgence, qu’aucune loi « feu vert – feu rouge » ne peut totalement encadrer. Bref, je n’invite pas au relativisme moral, mais fais un appel à la confiance envers les décisions du soigneur de terrain, quand il se trouve en « zone grise ».
    Comme que j’exprimais à Joseph J. sur ce blog, je pensais avec cette chronique (naïvement ou peut-être imprudemment) être suffisamment connu et reconnu comme adversaire de la loi de dépénalisation de l’euthanasie, pour me permettre cette fois-ci un billet plus politique et prudentiel, après avoir longuement écouté les soigneurs du terrain. Si j’explique le malaise de nombreux médecins envers le soupçon d’homicide et fais un appel à la confiance envers leur accompagnement de la fin de vie, cela ne signifie pas que j’approuve – du point de vie de l’éthique – toutes les décisions médicales prises.
    Fraternellement,
    Eric

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