Arcelor-Mittal: le soufle glacial de l’économie mondiale

L’annonce par la direction d’Arcelor-Mittal de la fermeture définitive de la phase à chaud liégeoise plonge toute une région dans le désarroi. Mes pensées et mes prières vont vers ces centaines de personnes qui vont perdre leur emploi suite à cette décision. Pour tous, il s’agit d’un coup de massue. Pour les plus précarisés – ceux qui ont des emprunts à rembourser – il y a, en outre, l’angoisse de perdre le peu qu’ils possèdent et de plonger dans la misère.
Ce drame ne peut cependant nous paralyser. Si une porte se referme sur notre passé industriel, une autre doit s’ouvrir sur notre avenir. La réactivité des autorités politiques, le dynamisme du secteur économique, la créativité de jeunes entrepreneurs et la solidarité de tous, doivent faire en sorte que les liégeois relèvent une fois de plus le défi que leur lance leur histoire.

Il n’empêche… Pareille décision prise par un capital apatride, au nom d’une recherche de rentabilité dégagée de toute responsabilité sociale, doit une fois de plus nous inviter à repenser notre système économique. La mondialisation ne peut dégénérer en glaciation des rapports humains. Pour contrer cela, il est urgent qu’à l’économie sans frontière corresponde une autorité de tutelle politique crédible. Comme l’écrivait Benoît XVI: « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. (…) Une telle Autorité devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux ». (Encyclique Caritas in Veritate n°67)

Pour conclure, je joins le touchant communiqué de mon évêque – un homme qui s’exprime avec son coeur:

Quelle terrible nouvelle pour des centaines de familles de la région liégeoise : fermeture de la phase à chaud et des hauts fourneaux d’Arcelor-Mittal ! Une catastrophe de plus en ces temps de crise économique et financière ! Les travailleurs sont-ils des pions sur l’échiquier d’un patron qui a le droit et le pouvoir de laisser tomber ? On décide de maintenir, on décide d’arrêter, on décide de rallumer, on décide de fermer. Qui ne devient pas un indigné devant ce qui apparaît être du pur arbitraire ? La récente fermeture en Lorraine et celle de Liège semblent confirmer que, tôt ou tard, l’aciérie ne sera plus le fleuron glorieux de l’Europe industrialisée. Pensant en particulier à la jeune génération, j’encourage tous les partenaires, – organisations syndicales, investisseurs potentiels, pouvoirs publics,- à chercher solidairement des voies d’avenir pour notre région. J’exprime ma solidarité avec les travailleurs et leurs familles, avec toutes les victimes de cette fermeture des hauts fourneaux.

+ Aloys Jousten, Evêque de Liège


 

 

3 réflexions sur « Arcelor-Mittal: le soufle glacial de l’économie mondiale »

  1. Il est peut-être un peu tôt pour juger du sens des responsabilités sociales d’Arcelor-Mittal. Y aura-t-il des licenciements secs? Cela ne paraît pas certain, selon De Standaard. Toutefois, il incombe sûrement aux pouvoirs publics de veiller à ce que les coûts sociaux d’une fermeture soient autant que possible à charge de ceux qui en prennent la décision.
    La décision de rouvrir la phase à chaud de Liège a surpris en son temps. On ne pouvait guère tabler sur un avenir assuré dans ce cas. Cela nous renvoie à la nécessité pour chacun, aujourd’hui, de préparer son éventuelle reconversion. Est-ce suffisamment pris en compte par les travailleurs et leurs représentants, comme par les entreprises?

  2. Cher Eric,
    je comprends l’inquiétude et le désarroi que suscitent la fermeture annoncée de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise et, ayant vécu toute ma jeunesse et mon adolescence dans une localité de la banlieue noire de liège, l’inquiétude des familles et des travailleurs me concerne vraiment.
    Mais les mots « capital apatride » « recherche de rentabilité dégagée de toute responsabilité sociale » me paraissent faire plus appel à l’émotion qu’à une analyse objective de la situation.
    La sidérurgie liégeoise est condamnée depuis longtemps ( voir les conclusions de M Gandois il y a plusieurs décennies) –
    Arcelor Mittal n’est pas apatride, mais clairement une affaire d’origine indienne et nous devrions nous réjouir de voir le tiers-monde, si longtemps défavorisé et délaissé, prendre enfin une part dans les économies qui comptent.
    La rentabilité me parait loin d’être condamnable, car elle est la mesure de l’efficacité d’une entreprise et de sa gestion.N’oublions pas qu’une part importante de cette rentabilité sert à alimenter l’autofinancement et, de là, la mise en route ou le remplacement d’ équipements.
    Le sens de la responsabilité sociale est-il absent chez les dirigeants de ce groupe? N’est-ce pas leur faire un procès d’intention avant même de connaître les conditions sociales dans lesquelles se fera la fermeture des installations liégeoise? Etre patron ou dirigeant d’une multinationale ne signifie pas nécessairement la dureté implacable et la perte de tout sentiment d’humanité.
    En somme, plutôt que d’alimenter l’émotion, certes bien légitime , ne devrions nous pas tous nous livrer à une analyse des éléments aussi bien économiques que politiques et sociaux qui ont mené à cette triste issue pour la métallurgie et tous ceux qui y travaillent. Et comme le dit notre Evêque, mettre notre énergie à trouver les meilleures solutions, plutôt qu’à rechercher dans le passé ou le présent des responsables ( apatrides évidemment, car il ne peut y avoir de responsables locaux ou régionaux, dans les syndicats, les politiques,etc)
    Merci d’avoir lu avec patience ce commentaire rapide, lui aussi suscité par un peu d’émotion.
    Avec mes meilleurs souvenirs
    jean pierre hainaut

    1. Cher Jean-Pierre, Merci de ce commentaire. Si vous m’avez lu, vous verrez que je fais appel à l’inventivité et à la création de nouvelles possibilités économiques. Mais, je maintiens – et ceci, avec la doctrine sociale de l’Eglise – qu’une économie mondialisée sans un encadrement économique de type politique mondialisé – est une impasse. La rentabilité est un des paramètres de survie d’une entreprise, mais pas le seul. Le système de la « main invisible » des marchés fonctionne à court, voire à moyen terme. A long terme, cela ne peut tenir tout seul: le sur-endettement de nos pays et le réchauffement climatique, en sont quelques preuves. Le modèle rhénan, prenant en compte « le bien de l’entreprise et sa responsabilité sociale » pourrait retrouver une nouvelle jeunesse. Que la sidérurgie n’aie plus d’avenir – OK – mais pourquoi une annonce aussi brutale, après tant de vire-voltages? Est-il indigne de préparer les employés à l’inéluctable? Bref, loin de simplement surfer sur l’émotion, ce sont des sujets que j’ai développé dans mon dialogue-débat avec Bruno Colmant (« La bourse et la vie » éditions Anthémis). Et ceci n’enlève rien au fait que je suis heureux de voir l’Inde relever la tête. Mais si c’est pour reproduire un système qui a montré ses limites – je pense que c’est myope. Voilà mon propos. Je ne dis pas qu’il est infaillible, mais je pense qu’il est réfléchi. Bien cordialement, Eric de B

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