Faut-il croire au GADLU… ?

Pour les profanes – non-francs-maçons – dont je suis, le terme GADLU peut sembler désigner une recette de cuisine hongroise. Il n’en est rien. Il s’agit de l’abréviation en Loge du « Grand Architecte De LUnivers ». De par le monde, la majorité des loges maçonniques sont appelées régulières et font de l’adhésion au « Grand Architecte » un passage obligé (en terminologie maçonne : un Landmark), alors que les Loges – dites libérales ou a-dogmatiques – laissent à leurs membres une entière liberté à ce sujet. C’est principalement sur cette question que se sont séparées les grandes tendances en maçonnerie. La maçonnerie régulière dépend de la Grande Loge Unie d’Angleterre et est surtout présente dans le monde anglo-saxon, alors qu’en France et en Belgique c’est la tendance libérale – dont le Grand-Orient est le principal ambassadeur – qui est de loin majoritaire. Aujourd’hui, la rupture laisse lentement place au rapprochement, les deux branches collaborant par exemple au musée de la maçonnerie récemment ouvert à Bruxelles.

« Fort bien que tout cela », me dira-t-on, « mais en quoi est-ce que cela concerne le prêtre catholique que tu es ? »  Loin de moi toute velléité de me mêler de la vie intérieure du monde maçonnique (même si j’y ai nombre d’amis, je rappelle qu’un contentieux existe toujours entre celui-ci et le catholicisme), mais je suis d’avis que pareille polarisation nous apprend quelque chose d’important sur le fonctionnement de l’esprit humain. Je pense, en effet, que nombre de nos oppositions ne se fondent pas tant sur des arguments rationnels, que sur une charge émotionnelle.

Je m’explique : à quoi pensent les maçons réguliers quand ils parlent du Grand Architecte ? Je cite Eli Peeters, leur Grand Maître belge (le Vif 1er juillet p.26) : Il s’agit du « principe qu’il existe quelque chose qui dépasse l’individu ». Que rejettent les maçons libéraux quand ils récusent l’obligation d’adhérer au GADLU ? Je cite Eddy Caekelberghs, premier Grand Maître adjoint du Grand orient de Belgique : « Les maçons a-dogmatiques ne se sentent liés par aucun principe créateur ». (le Vif p.27) Bref, les deux points de vue son parfaitement conciliables : il est, en effet, parfaitement possible et acceptable d’adhérer à un principe qui dépasse l’individu, mais qui ne soit pas considéré comme « créateur » de l’univers. En terme savant : on peut être « déiste » sans être « théiste ».

Les maçons réguliers énoncent sans complexe qu’une démarche initiatique en vue d’un développement personnel n’est possible qu’en référence à un principe qui dépasse l’individu, chacun  restant libre de croire que l’origine de ce principe se trouve sur terre ou au ciel. En cela, la maçonnerie régulière reflète bien la culture anglo-saxonne, qui n’a pas connu de combat pour la sécularisation et pour qui, en conséquent, le « Grand Architecte » n’est émotionnellement que fort peu lié au Dieu de la révélation chrétienne. Ainsi, quand un Yankee lance « God bless America », cela ne signifie pas pour autant qu’il fait une profession de foi religieuse. De même, l’athéisme a mauvaise presse Outre-Atlantique, car la plupart n’y voient nullement une question de foi religieuse, mais bien un refus pratique d’adhérer à des valeurs qui dépassent l’intérêt individuel. Bref, de par une histoire différente qui a engendré un inconscient collectif distinct, dans l’univers anglo-saxon les mêmes mots ne signifient pas nécessairement la même chose. Plus que de divergence rationnelle, il s’agit avant tout d’une question de charge émotionnelle.

Le monde maçonnique libéral est, quant à lui, né de la lutte contre l’influence sociale de l’Eglise catholique. « Ecrasons l’infâme ! » proclamait à son sujet Voltaire. Le rejet parmi les loges a-dogmatiques de toute obligation d’adhérer au GALDU est, selon moi, moins dû à une opposition rationnelle à un quelconque principe « qui dépasse l’individuel » (sinon, comment comprendre la dimension symbolique des activités maçonniques ?), qu’à une posture émotionnelle engendrée par l’inconscient collectif de ses membres – ce « Grand Architecte » leur rappelant par trop le Dieu d’une Eglise catholique qui représente l’adversaire historique.
C’est l’expérience que je fis avec un vieux sage maçon – membre du Grand-Orient de Belgique (GOB). Je l’apprécie et, je pense que c’est réciproque. Cependant, dans nos échanges, je devais éviter l’utilisation de tous mots à charge émotionnelle trop « catholique ». Parler de « foi » en des valeurs, ou encore de « spiritualité » citoyenne… c’était déjà perçu comme une manœuvre de curé, destinée à le récupérer. Cela rendait le dialogue difficile. Avant de débattre de nos divergences – bien réelles, elles – il fallait d’abord déminer le vocabulaire.

Bref, je le répète : nombre de nos oppositions ne se fondent pas tant sur des arguments rationnels, que sur une charge émotionnelle. Celui qui veut permettre le dialogue entre communautés humaines, devra autant travailler les émotions que le débat de fond. Dans leurs échanges œcuméniques, les chrétiens catholiques, orthodoxes et protestants en savent quelque chose. Dans leur recherche d’un nouveau compromis institutionnel, les Belges flamands et francophones, aussi. Le monde maçonnique ne fait pas exception. La question du GADLU en est, selon moi, la preuve.

 

7 réflexions sur « Faut-il croire au GADLU… ? »

  1. Une question me vient à l’esprit à la lecture du billet : est-ce que les franc-maçons sont également hérissés quand on utilise le mot « AMOUR » ?
    Parce que le projet de Dieu pour l’homme, dont parlent les différentes dénominations chrétiennes (avec, je le concède, de fameux ratés occasionnellement dans la démonstration par les actes), c’est un projet d’AMOUR !
    Un projet de liberté, non d’aliénation, un projet où l’homme est appelé à grandir, et – très important – à se laisser transformer par Dieu (ce qui est évidemment un écueil majeur pour tout qui a l’orgueil de vouloir se faire tout seul)…

  2. Merci ; on en apprend des choses sur ce blog!
    Moi je confondais le mot GADLU avec le mot DAHU.; animal imaginaire, bien connu dans les régions montagneuses; AUCUN RAPPORT !
    Toutes mes excuses aux Francs-maçons qui liront ce commentaire.

  3. Certes, certains pro-GADLU atténuent la portée de ce concept. Mais quand même, « Grand Architecte », c’est bien une référence à la création du monde ! Il y a donc bien la reconnaissance d’un « principe créateur » et une opposition irréductible entre les deux courants, me semble-t-il. De même qu’entre franc-maçons et chrétiens, si le vocabulaire peut-être déminé, de nombreuses divergences « bien réelles » subsisteront. Le poids de l’histoire et la charge émotionnelle n’expliquent pas tout. En revanche le dialogue permettra de mieux comprendre le fondement de l’inconciliable… et d’espérer une conversion ? Cette démarche me rappelle l’approche de Benoît XVI dans le premier tome de Jésus de Nazareth. En citant le rabbin Jacob Neusner, il nous fait toucher du doigt le point exact de notre divergence avec la religion juive. Et nous permet de rentrer plus profondément dans la Révélation.

    1. Je suis d’accord sur le fait que la dimension émotionnelle n’explique pas tout et qu’une différence de fond subsiste. Par contre, je pense que votre interprétation du GADLU est plus latine (s’attacher aux mots: « architecte ») qu’anglo-saxonne (adhérer à une position parce qu’elle « fonctionne »). Et là, j’en reviens à mon propos.

  4. Je suis d’accord avec « vieil imbécile » même si je comprends la réponse d’ Eric à celui-ci.
    Je pense pour ma part que la franc-maçonnerie qu’elle soit déiste ou théiste est très éloignée de la conception chrétienne.La conception anglo-saxonne d’un architecte mis là simplement pour que le monde fonctionne est en effet un « Dieu » qui ne dérange personne. Il a créé l’univers puis l’a laissé suivre son cours. Le franc-maçon « régulier » est donc à mon avis presqu’ aussi éloigné et parfois tout aussi éloigné de Dieu que le franc-maçon athée.
    Pourquoi ? Parce que c’est un Dieu qui ne s’adresse qu’à la connaissance et qui n’a aucune exigence morale particulière. Tandis que le Dieu de la Bible est un Dieu personnel qui a l’initiative, qui s’adresse des personnes concrètes (Abraham, Isaac, Jacob puis Moïse) et qui exige une réponse concrète: « Quitte ton pays », « Tu aimeras ton Dieu de toutes tes forces, de tout ton coeur, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même ». Or, l’homme est incapble d’être juste sans le secours de la grâce donnée par Jésus-Christ. La foi est donc indispensable pour tous.

  5. Revenons les pieds sur terre. Les considérations ci-dessus sont des exercices valables qui fortifient les cerveaux, une gymnastique conceptuelle. Tandis que ces ratiocinations vont leur cours, l’islam progresse. Et voleront en éclat les subtilités sur théos ou deus et la beauté du dialogue. Allah seul est grand et ses disciples le feront savoir, sans nul ménagement. Cathos comme maçons allez de par le monde et enseignez aux nations le péril du coran. L’analyser est un devoir d’intellectuel averti.

    1. J’ai abordé cette question dans une conférence faite à l’ULB et en chapitre 3 de « credo politique ». J’y reviendrai sans doute dans ce blog.

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