Eglise catholique et abus sexuels : « La loi du silence perdure ? » (Le Soir p.9)

Le Soir est un quotidien laïque que j’ai toujours connu critique par rapport à l’Eglise – mais rarement outrancier. Eh bien, quelque chose semble avoir changé depuis six mois. C’est bien simple, je pense n’avoir plus lu depuis des semaines dans les pages du grand quotidien vespéral la moindre note positive, encourageante, etc. concernant l’Eglise catholique. Je sais bien que je ne suis pas un lecteur neutre, mais je ne l’étais pas davantage avant. Le lecteur engagé que je suis, pense donc que quelque chose à changé dans ce journal où travaillent de nombreux journalistes qu’il respecte – à commencer par l’auteur de l’article du jour (à découvrir en p.9). Par rapport à l’instruction du Vatican publiée hier, je m’étais attendu de la part du Soir à un titre du genre : « Un premier pas, mais peut mieux faire » ou encore « C’est un peu tard, mais c’est mieux que rien ». Mais non. Un peu à la manière de ces profs intraitables qui cassent leur bête noire en classe quoi que le cancre fasse, l’article titre: « La loi du silence perdure ». Je sais bien que l’auteur de l’article n’est pas nécessairement celui du titre, mais le contenu reflète l’en-tête. Pour vérifier si pareille analyse sévère était partagée, j’ai été lire la presse flamande – pas nécessairement plus tendre avec Rome – mais je n’ai rien retrouvé de tel. Comment expliquer pareille mansuétude ailleurs dans la presse? L’article du Soir s’en explique: « Les communicateurs du Saint-Siège ont réussi, lundi, à convaincre les agences de presse d’un prétendu durcissement des autorités ecclésiastiques face au scandale des abus sexuels sur mineurs perpétrés par des prêtres ou des religieux ». Voilà la communication du Vatican érigée au rang de spin doctor, capable de tromper la presse mondiale. Un véritable scoop. Et pourquoi – je cite l’article – « la loi du silence a manifestement de beaux jours devant elle » ? Parce que l’instruction du Vatican demande de « tenir compte de la législation du pays où se trouve la Conférence épiscopale, en particulier en ce qui concerne l’éventuelle obligation d’informer les autorités civiles ». En d’autres mots, au lieu de respecter les législations en vigueur, l’instruction vaticane aurait dû imposer la dénonciation « urbi et orbi », même là où une législation démocratiquement votée en déciderait autrement, réservant – par exemple – ce droit à la victime. Décidément, j’ai bien du mal à suivre pareil raisonnement. L’article revient aussi sur le secret de la confession, dont le caractère absolu devrait être levé. Ce que je pense de la question peut être lu sur mon « post » du 29 mars : « Secret professionnel des prêtres et secret de confession : réalité et phantasme ». Conclusion: du lecteur que je suis ou de l’article, un des deux doit être aveugle.

8 réflexions sur « Eglise catholique et abus sexuels : « La loi du silence perdure ? » (Le Soir p.9) »

  1. Cher Eric,

    Merci de me faire à nouveau l’honneur de tes commentaires.

    Pour t’éclairer parfaitement, tu me permettras de citer les premiers mots de la dépêche rédigée par le vaticaniste de l’AFP:

    « Pédophilie: le Vatican exige que les suspects soient déférés à la justice. Le Vatican a ordonné lundi aux évêques de déférer à la justice les membres du clergé soupçonnés de pédophilie… »

    Tu admettras volontiers, comme je l’écris dans « Le Soir », que la lettre circulaire de William Levada n’ « exige » en aucune manière que les suspects soient déférés à la justice. Et qu’il est encore moins question d’ « ordonner » quoi que ce soit aux évêques.

    Toutes les dépêches datées du Vatican allaient dans le même sens. J’ai fait mon travail de journaliste en allant lire la lettre circulaire, constatant que sa teneur était bien plus vague, ce que m’a confirmé l’éminent canoniste Rik Torfs (KUL), cité dans mon article.

    Bref, j’ai fait mon boulot, cher Eric. Je conçois que les conclusions que j’en tire ne te conviennent pas. Ce n’est pas une raison pour décridibiliser sans trop d’arguments une démarche journalistique honnête et sérieuse. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’aligner sur l’analyse erronée et non vérifiée des agenciers et de la presse flamande.

    Merci de ton attention (et de celle de tes lectrices et lecteurs)

    1. Cher Ric, Merci de réagir une fois de plus sur ce blog. La preuve que je prends ton travail au sérieux est que je le lis et prends la peine de le commenter. Et comme tu m’as également lu, tu noteras que j’ai bien stipulé que je respectais ton travail. Donc, pas d’accord: je ne décrédibilise pas ce travail. Je ne l’ai jamais fait de par le passé et ne commencerai pas aujourd’hui. Non, je ne partage pas tes conclusions (« la loi du silence perdure ») et j’ai fait savoir clairement que je regrette que ces conclusions aillent depuis quelques temps unilatéralement dans un sens. (Que la dépêche AFP soit approximative, ce n’est pas une première… mais est-ce la faute du Vatican?) Ce genre de remarques, tu dois pouvoir l’admettre. Quand des paroissiens critiquent mon homélie, cela ne me fait pas plaisir, mais je me dis qu’au moins ils ont pris la peine d’écouter et ont eu le courage de venir me le dire en face. Même si je ne suis pas d’accord avec eux, j’y réfléchis… et parfois cela me fait évoluer. Toute la vertu du débat. Depuis le Concile Vatican II, les curés ont dû apprendre qu’ils n’étaient pas aussi infaillibles qu’ils auraient aimé le croire… Avec internet, c’est un peu aux journalistes à devoir faire face à des réactions de lecteurs en temps réel. Je pense que c’est un progrès pour tous. Bonne continuation.

  2. Bien, cher Eric.

    Tu sais que je n’ai rien contre le débat; encore moins contre la mise en cause de journalistes qui se sont crus trop longtemps infaillibles ;)

    Je constate juste que la recommandation de Levada n’implique nullement l’abolition de la loi du silence: elle demande juste aux évêques de respecter la loi, sans plus.

    Dans les conditions où la loi tolère le silence, ce silence perdure. C’est tout ce que j’affirme. C’est une interprétation purement factuelle de la lettre de Levada.

    Beaucoup trop de journalistes préfèrent les impressions aux faits ;)

    1. Cher Ric, cela je l’avais bien compris. Mais il faut savoir ce qu’on veut: je puis te retrouver nombres d’articles du Soir réclamant que l’Eglise catholique respecte la loi du pays, au nom de la séparation Eglise-Etat… Or voici un document du Vatican qui rappelle la chose et je lis dans « le Soir » comme commentaire: la loi du silence perdure. Ce n’est pas les faits que j’incriminais, mais leur interprétation que je trouve d’une sévérité que je n’arrive pas à cadrer dans la réalité. Or, pour nombre de personnes que je connais, ce qu’ils lisent dans le Soir forge leur opinion. J’ai connu ce journal plus nuancé et je suis de ceux qui pensent que la vérité se trouve souvent dans la nuance. Au plaisir d’encore en débattre avec toi.

      1. Je persiste: contrairement à ce qu’annoncent mes confrères, la lettre de Levada, telle qu’elle est rédigée, n’est pas un antidote à la loi du silence. En Belgique, elle ne changera rien à une situation qui, selon les propres décomptes de la Conférence épiscopale, a faite en sorte que 30% des cas d’abus sexuels enregistrés par les évêques n’ont jamais été transmis à la police ou à la Justice.

        Il s’agit de faits, pas d’interprétations!

        Deux autres faits intéressants:

        1. A ce jour, l’évêque démissionnaire Roger Vangheluwe, pédophile en aveux, est toujours prêtre.

        2. Le 15 avril 2008, Benoît XVI déclarait (en réponse à une question de John Allen): « Nous exclurons de manière absolue les pédophiles du ministère sacré ; c’est totalement incompatible. Celui qui s’est rendu coupable de pédophilie ne peut pas être prêtre ». (source: VIS)

        Je sais, cher Eric; les faits, parfois, manquent de nuance. Le journaliste doit pourtant s’en accommoder…

        1. Cher Ric,
          Toi et moi avons une même qualité/défaut: vouloir à tout prix avoir le dernier mot ;-) Tu aurais fait un excellent curé…
          Pour l’ancien évêque de Bruges, je comprends parfaitement qu’un journaliste pose des questions sur l’apparente différence de traitement entre prêtres et évêques coupables de pédophilie. Voilà un beau sujet d’interview avec un responsable du Vatican ou avec John Allen.
          Pour la lettre de Levada, je persiste quant à moi de dire que le Vatican ne peut que demander le respect de la loi du pays. Que si cela ne suffit pas, c’est la loi qui doit changer et non le Vatican. Mais que ce n’est pas une question de loi, mais de culture de la parole plutôt que du silence. Si j’avais des gosses et qu’ils avaient été abusés sexuellement par un prêtre, j’irai immédiatement à la police, tout catho que je sois. Je ne sais pas comment mes parents auraient réagi. Mes grand-parents, eux, se seraient sans doute tus. Les temps changent et il est heureux qu’il en soit ainsi.

  3. En réponse aux propos:  » Le 15 avril 2008, Benoît XVI déclarait : « Nous exclurons de manière absolue les pédophiles du ministère sacré ; c’est totalement incompatible. Celui qui s’est rendu coupable de pédophilie ne peut pas être prêtre ». (source: VIS) Mgr Léonard a bien dit en commission qu’il ne sanctionnait jamais un prêtre en lui retirant son état de prêtre car sinon il ne saurait plus le surveiller… rien d’étonnant de revoir des prêtres devant les tribunaux des hommes; cfr mon abuseur prêtre pédophile recidiviste. Procès en cours au pénal à Namur et là le soir n’en n’a pipé mot…

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